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NOTIONS PRÉLIMINAIRES

connus en ont parlé précédemment et que des expériences déjà faites ont réussi. Avant de semblables manifestations, propres à frapper un public déjà nombreux, il doit s’être écoulé un temps plus ou moins long de tentatives locales et éphémères. Il a fallu des causes déterminantes pour susciter ces tentatives, les renouveler et les faire réussir. Nous pouvons facilement les comprendre.

La première est d’avoir à sa portée telle ou telle plante offrant certains des avantages que tous les hommes recherchent. Les sauvages les plus arriérés connaissent les plantes de leur pays ; mais l’exemple des Australiens et des Patagoniens montre que s’ils ne les jugent pas productives et faciles à élever, ils n’ont pas l’idée de les mettre en culture. D’autres conditions sont assez évidentes : un climat pas trop rigoureux ; dans les pays chauds, des sécheresses pas trop prolongées ; quelque degré de sécurité et de fixité ; enfin une nécessité pressante, résultant du défaut de ressources dans la pèche, la chasse ou le produit de végétaux indigènes à fruits très nourrissants, comme le châtaignier, le dattier, le bananier ou l’arbre à pain. Quand les hommes peuvent vivre sans travailler, c’est ce qu’ils préfèrent. D’ailleurs l’élément aléatoire de la chasse et de la pêche tente les hommes primitifs — et même quelques civilisés — plus que les rudes et réguliers travaux de l’agriculture.

Je reviens aux espèces que les sauvages peuvent être disposés à cultiver. Ils les trouvent quelquefois dans leur pays, mais souvent ils les reçoivent de peuples voisins, plus favorisés qu’eux par les conditions naturelles, ou déjà entrés dans une civilisation quelconque. Lorsqu’un peuple n’est pas cantonné dans une île ou dans quelque localité difficilement accessible, il reçoit vite certaines plantes, découvertes ailleurs, dont l’avantage est évident, et cela le détourne de la culture d’espèces médiocres de son pays. L’histoire nous montre que le blé, le maïs, la batate, plusieurs espèces de genre Panicum, le tabac et autres plantes, — surtout annuelles, — se sont répandus rapidement, avant l’époque historique. Ces bonnes espèces ont combattu et arrêté les essais timides qu’on a pu faire çà et là de plantes, moins productives ou moins agréables. De nos jours encore, ne voyons-nous pas, dans divers pays, le froment remplacer le seigle, le maïs être préféré au sarrasin, et beaucoup de millets, de légumes ou de plantes économiques tomber en discrédit parce que d’autres espèces, venues de loin quelquefois, présentent plus d’avantage. La disproportion de valeur est pourtant moins grande entre des plantes déjà cultivées et améliorées qu’elle ne l’était jadis entre des plantes cultivées et d’autres complètement sauvages. La sélection — ce grand facteur que Darwin a eu le mérite d’introduire si heureusement dans la science — joue un rôle important une fois l’agriculture établie ; mais à toute époque, et surtout dans les commencements, le choix des espèces a plus d’importance que la sélection des variétés.