Page:Alphonse de Candolle - Origine des plantes cultivées, 1883.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

les auteurs qui avaient admis une culture très ancienne, et j’en vois la confirmation la plus positive dans l’opuscule du Dr Bretschneider, rédigé à Péking avec les ressources les plus complètes sur la littérature chinoise[1]. « Je n’ai pu découvrir, dit-il, aucune allusion à la canne à sucre dans les plus anciens livres chinois (les cinq classiques). » Elle paraît avoir été mentionnée pour la première fois par les auteurs du IIe siècle avant J.-C. La première description se trouve dans le Nan-fang-tsao-mu-chuang, au IVe siècle : « Le Chê-chê, Kan-chê (Kan, doux ; chê, Bambou) croît, dit-il, en Cochinchine (Kiaochi). Il a plusieurs pouces de circonférence et ressemble au Bambou. La tige, rompue par fragments, est mangeable et très douce. Le jus qu’on en tire est séché au soleil. Après quelques jours, il devient du sucre (ici un caractère chinois composé), qui se fond dans la bouche… Dans l’année 286 (de l’ère chrétienne), le royaume de Funan (dans l’Inde, au delà du Gange) envoyait du sucre en tribut. » Selon le Pent-sao, un empereur qui a régné dans les années 627 à 650 de notre ère avait envoyé un homme dans la province indienne de Bahar, pour apprendre la manière de fabriquer le sucre.

Il n’est pas question dans ces ouvrages de spontanéité en Chine, et au contraire l’origine cochinchinoise, indiquée par Loureiro, se trouve appuyée d’une manière inattendue. L’habitation primitive la plus probable me parait avoir été de la Cochinchine au Bengale. Peut-être s’étendait-elle dans les îles de la Sonde et les Moluques, dont le climat est très semblable ; mais il y a tout autant de raisons de croire à une introduction ancienne venant de Cochinchine ou de la péninsule malaise.

La propagation de la canne à sucre à l’occident de l’Inde est bien connue. Le monde gréco-romain avait une notion approximative du roseau (calamus), que les Indiens se plaisaient à sucer et duquel ils obtenaient le sucre[2]. D’un autre côté, les livres hébreux ne parlent pas du sucre[3], d’où l’on peut inférer que la culture de la canne n’existait pas encore à l’ouest de l’Indus à l’époque de la captivité des Juifs à Babylone. Ce sont les Arabes, dans le moyen âge, qui ont introduit cette culture en Égypte, en Sicile et dans le midi de l’Espagne[4], où elle a été florissante, jusqu’à ce que l’abondance du sucre des colonies ait obligé d’y renoncer. Don Henrique transporta la canne à sucre de Sicile à Madère, d’où elle fut portée aux îles Canaries en 1503[5]. De ce

  1. Bretschneider, On the study and value of chinese botan. works, etc.. p. 45-47.
  2. Voir les citations de Strabon, Dioscoride, Pline, etc., dans Lenz, Botanik der Griechen und Rœmer, 1859, p. 267 ; Fingerhut, dans Flora, 1839, vol. 2, p. 529 ; et beaucoup d’autres auteurs.
  3. Rosenmüller, Handbuch bibl. Alterk.
  4. Calendrier rural de Harib, écrit dans le Xe siècle pour l’Espagne, traduit par Dureau de La Malle, dans sa Climatologie de l’Italie et de l’Andalousie, p. 71.
  5. Von Buch, Canar. Inseln.