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VIII
PRÉFACE

Je me suis efforcé en outre de constater depuis combien de siècles ou de milliers d’années chaque espèce a été cultivée et comment la culture s’en est répandue dans différentes directions, à des époques successives.

Pour quelques plantes cultivées depuis plus de deux mille ans, et même pour d’autres, il arrive qu’on ne connaît pas aujourd’hui l’état spontané, c’est-à-dire sauvage, ou bien que cette condition n’est pas assez démontrée. Les questions de ce genre sont délicates. Elles exigent — comme la distinction des espèces — beaucoup de recherches dans les livres et les herbiers. J’ai même été obligé de recourir à l’obligeance de quelques voyageurs ou botanistes dispersés dans toutes les parties du monde, pour obtenir des renseignements nouveaux. Je les donnerai à l’occasion de chaque espèce, avec l’expression de ma sincère reconnaissance.

Malgré ces documents et en dépit de toutes mes recherches, il existe encore plusieurs espèces qu’on ne connaît pas à l’état spontané. Lorsqu’elles sont sorties de régions peu ou point explorées par les botanistes, ou quand elles appartiennent à des catégories de plantes mal étudiées jusqu’à présent, on peut espérer qu’un jour l’état indigène sera découvert et suffisamment constaté. Mais cette espérance n’est pas fondée quand il s’agit d’espèces et de pays bien connus. On est conduit alors à deux hypothèses : ou ces plantes ont changé de forme dans la nature comme dans la culture, depuis l’époque historique, de telle manière qu’on ne les reconnaît plus pour appartenir à la même espèce ; — ou ce sont des espèces éteintes. La lentille, le Pois chiche n’existent probablement plus dans la nature, et d’autres espèces, comme le Froment, le Maïs, la Fève, le Carthame, trouvées sauvages très rarement, paraissent en voie d’extinction. Le nombre des plantes cultivées dont je me suis occupé étant de 249, le chiffre de trois, quatre ou cinq espèces éteintes ou près de s’éteindre serait une proportion considérable, répondant à un millier d’espèces pour l’ensemble des végétaux phanérogames. Cette déperdition de formes aurait eu lieu pendant la courte période de quelques centaines de siècles, sur des continents où elles pouvaient cependant se répandre et au milieu de circonstances qu’on a l’habitude de considérer comme stables. On voit ici de quelle manière l’histoire des plantes cultivées se rattache aux questions les plus importantes de l’histoire générale des êtres organisés.

Genève, 1er  septembre 1882.