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Or, il y a juste dix millions d’électeurs sur ces quarante millions d’habitants.

Pourquoi 10 millions et non pas 12 ou 18 ? Pourquoi ne commence-t-on à voter qu’à 21 ans ? Pourquoi les femmes ne sont-elles pas électeurs ? Pourquoi faut-il que les bons bougres aient des quittances de loyer pour être inscrits ? Pourquoi les soldats ne votent-ils pas ?

Ça, — ainsi que bien d’autres contradictions, — personne n’a jamais pu les expliquer, c’est la bouteille à l’encre !

Donc, y a dans toute la France que dix millions d’électeurs.

Supposons que ces couillons-là poussent en carré, kif-kif les asperges, et pour les classer prenons les chiffres de la foire électorale de 1893. Ils occuperont juste le quart de la page, soit le carré ci-dessous :


Reluquez ça, les camaros, et en un clin d’œil vous aurez constaté que c’est la minorité qui fait la pluie et le beau temps.

Le carré des abstentionnistes fait à lui seul le tiers des électeurs ; vient à côté le carré des votards dont les candidats n’ont pas décroché la timballe, — ils sont 2.458.000. Ces deux carrés réunis font plus de la moitié : ceux-là se passent de députés.

Viennent ensuite les carrés des élus : celui des socialistes est le plus maigre ; celui des réacs le suit, puis celui des radicaux. Faisant la loi à tous ceux-là nous tombons ensuite dans le trou à fumier des opportunards et des ralliés : c’est eux les plus forts, et c’est eux qui gouvernent… et ils ne sont pas le quart des votards.

Et encore, foutre, faut-il pas crier trop haut qu’ils gouvernent ! Les 300 bouffe-galette qui représentent ces 2,300,000 votards ont en effet à balancer les 270 birbes des diverses oppositions. Seulement, y a de tels mic-macs à l’Aquarium que la plupart du temps, les députés se fichent de l’opinion de leurs électeurs autant qu’un poisson d’une pomme.

Ils votent suivant les ordres d’un ministre ou les ordres d’un distributeur de chèques.

De sorte que ces 2,300,000 andouilles qui ont voté pour des bouffe-galette de la majorité, n’ont — même pas eux ! — la veine d’être représentés selon leur cœur.

En dernier ressort, c’est une douzaine de crapules qui gouvernent la France : des ministres comme Rouvier, Bailhaut ou Dupuy, des distributeurs de chèques comme Arton ou des banquiers comme Rothschild.

— o —

Quant à espérer s’enquiller dans la mécanique gouvernementale, de manière à se rendre utile au populo, c’est un rêve de maboules et d’ambitieux.

C’est un sale truc que de se foutre tout rond dans un marécage pestilentiel pour se guérir des fièvres. C’est comme Gribouille qui se fichait à la Seine pour ne pas se mouiller.

D’ailleurs, on a été assez salement échaudés par des bouffe-galette qui parlaient au nom du peuple pour être guéris de la maladie votarde.

De tous les types qui avaient du poil au ventre, alors qu’ils étaient au milieu du populo, combien y en a-t-il qui, une fois élus députés, sont restés propres ?