lèvent des réservoirs, et, comme elle n’a pas perdu ses propriétés de fumier, on trimballe tout ça dans les champs où ça aide chouettement les récoltes à pousser.
— Sache donc, l’Échalas, que ce que raconte la copine pourrait être pratiqué aujourd’hui, si les bourgeois y trouvaient profit : en effet le truc électrique pour désampuanter les ordures et le bouillon des égouts est trouvé depuis des années, — y a qu’à l’appliquer.
Causer engendre la soif. On s’est donc reposé en cassant le cou à un litron :
— Ce qu’il doit y avoir des tireurs à cul et des flemmards, dans ton pays de rêve, objecte l’Échalas au bout d’un moment.
— Oh, que tu es bien de ton époque ! réplique la somnambule. Tu es farci du préjugé bourgeois en vertu duquel, plus on est fainéant, moins on travaille, plus on est considéré. Que sont les richards, sinon une bande de feignasses.
Eh bien, sache que la paresse est un produit de la Société bourgeoise, qui disparaît là où il y a liberté. Si dans les ateliers et les usines capitalistes, il y a des prolos qui ne veulent pas en foutre une datte, c’est très compréhensible : le travail leur est imposé et la plupart du temps, le métier qu’il leur faut faire les dégoûte.
Dans la Société de l’avenir, il n’en est plus ainsi : de même qu’il ne vient à aucun l’idée de se passer de manger, de même personne ne songe à se passer de travailler ou de penser. C’est pour tous un besoin naturel : il est aussi nécessaire de faire fonctionner ses bras, que son cerveau ou son ventre. Et on a d’autant plus d’entrain et d’activité qu’on va aux travaux qu’on gobe et qu’on s’y adonne suivant ses forces, — de même qu’on mange des plats qu’on aime et à son appétit. Le pire des maboulismes est de vouloir courber tout le monde sous un joug uniforme : travail égal ! nourriture égale ! Les uns attrapent des indigestions de mangeailles, les autres des indigestions de travail. Laissez donc l’individu se rationner lui-même en tout et pour tout.
C’est ce qu’on fait dans la Société de l’avenir, — et ça donne de mirobolants résultats !
Y a plus la division bêtasse de travailleur manuel et de travailleur intellectuel, pas même celle d’ouvrier d’industrie et d’ouvrier des champs. Chacun est l’un et l’autre à son gré, suivant sa fantaisie.
La production industrielle se fait dans de grandes usines, de vastes ateliers, où le machinisme a acquis un développement fantastique. L’homme n’est plus l’esclave de la machine mais bien son surveillant : tout est combiné pour éluder la fatigue physique et l’enkylosement des membres.
Et ce qu’on débite de production est inimaginable ! Quelques centaines de tailleurs, travaillant trois ou quatre heures par jour, suffisent à frusquer, pour leur année, 100,000 individus. Il faut encore moins de cordonniers pour chausser le même nombre d’hommes. Et ainsi est-il dans toutes les branches de l’activité humaine.
L’agriculture, elle aussi, a fait des progrès mirobolants ! Les paysans ne sont plus ces malheureux types, plus rapprochés de la bête de somme que de l’homme qui, dès le soleil levé jusqu’à son coucher, trimaient terriblement, l’échine ployée sur la terre, tellement ployée que, devenus vieux, ils restaient pliés, le dos en cerceau, la tête en bas.
Tout ce qui entravait la culture a été fichu en l’air : les clôtures, les murs, les haies, qui encerclaient les lopins de terre des paysans ont été fichus en bas ou arrachés. La terre est ainsi devenue indivise et grâce à la disparition de toutes les sangsues qui dégorgeaient le cultivateur (prêteurs d’argent, propriétaires fonciers, percepteurs, etc.) on s’est aligné, pour lui faire rendre le plus possible.
Dès l’abord, quantité de cul-terreux ne voulaient rien savoir : ils ne voulurent pas mettre leurs terres en commun et continuèrent à les cultiver individuelle-