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L’AVIATEUR INCONNU

lui appartenait plus tout entière… Ainsi rêvait la jeune fille, en proie à l’insomnie, lasse de cette emprise, des dis­cordes qu’elle avait occasionnées, incapable, en un mot, de recouvrer la claire et saine vision des choses.

Elle témoigna de cette perturbation morale dans une cir­constance curieuse, à quelque temps de là, au casino de Pourville. En compagnie de son aimable tante Flossie, chape­ron d’un chic, d’une beauté, d’une jeunesse qui juraient avec ce rôle revêche, Elvire avait assisté à une représentation théâtrale donnée par une grande vedette en tournée. Au cours du premier, puis du second entr’acte, elle avait bien remarqué, dans les couloirs, un officier d’une sobre élé­gance, aux traits énergiques, égayés par un regard vif et un peu ironique, regard qui ne l’avait pas quittée pendant un long moment. Le hasard, ou bien l’insistance de l’officier avait fait qu’Elvire et Flossie, à deux ou trois reprises, s’étaient trouvées face à face avec celui-ci et, bien qu’il se fût respectueusement effacé pour leur livrer passage, elles avaient senti sur elles le poids d’une atten­tion presque gênante. Il n’y avait pas lieu d’en prendre ombrage, évidemment, car tout homme, pourvu qu’il soit bien élevé, a le droit de fixer les yeux sur une femme qui passe… Jamais, si elle avait eu son équilibre de naguère, Elvire n’en eût même pris souci, mais il ne faut pas oublier qu’elle était dans des conditions d’énervement toutes particulières.

— N’as-tu pas l’impression, demanda-t-elle à Flossie, que cet officier nous observe ? Il s’arrange toujours pour marcher à notre rencontre, afin de mieux nous dévisager !

— Oui, dit Flossie, je l’ai déjà obligé à détourner son regard appuyé sur le mien… un beau regard, d’ailleurs !

— Tiens, j’aurais juré qu’il me regardait, moi seule ! fit Elvire.

L’Anglaise n’avait pas la moindre coquetterie ; elle répondit tout bonnement :

— Toi ou moi, peu importe ! c’est peut-être toi et moi ! On assure que les officiers français sont friands de con­quêtes !

Elvire laissa tomber l’entretien ; à ce moment, elles furent rejointes par Bergemont aîné et Jean-Louis Vernal. On les voyait fréquemment ensemble, depuis la fatale soirée de la demande en mariage ; Tristan Bergemont,