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L’AVIATEUR INCONNU

à imaginer que cet homme débonnaire et placide, en dépit de ses frénésies scientifiques, ait trouvé le temps et les possibilités matérielles de construire une telle mystifi­cation, croyez-moi, c’est invraisemblable !

Longuement il lui parla sur ce ton, s’ingéniant à la ramener à une juste notion des choses, lui représentant que si elle adoptait l’idée de voir en son père un ennemi, sa vie en allait être douloureusement perturbée. Il dut s’avouer, dans son for intérieur, que ses instances res­taient en grande partie superflues.

Elvire Bergemont, douée de toutes les qualités, de toutes les vertus qui font la séduction d’une femme, avait cependant hérité quelque peu de l’entêtement de son père. Quand elle avait adopté une manière de voir, il ne fallait guère compter que sur le temps pour y apporter un changement, et les plus subtils conseils, l’insistance la plus affectueuse ne servaient de rien. Bergemont cadet, embusqué dans sa résolution baroque, eût préféré donner sa tête que revenir sur le projet fantasque d’avoir un aviateur pour gendre. Pareillement, Elvire, accrochée désormais à la sourde suspicion que son père pût être la cheville ouvrière de la farce dont elle était le jouet, se complaisait à ce doute, et n’en voulait plus démordre. Un tel état de sentiments devait, nécessairement, tôt ou tard, déterminer entre le père et la fille une crise extrêmement préjudiciable à l’harmonie de la maisonnée.

Pourtant Elvire n’était pas assez impulsive pour s’abandonner sans résistance à sa nouvelle inquiétude. Si elle était bien la digne fille de son père sous le rapport de l’idée fixe, elle ne manquait ni de bon sens, ni de pondé­ration. C’est la raison pourquoi, après avoir ruminé sa crainte subite, elle se promit, avant que de questionner délibérément M. Bergemont cadet, d’attendre que les mystificateurs signalassent de nouveau leur existence. « Au moindre retour d’offensive, se dit-elle, je m’assure­rai que papa s’obstine à excuser les actes monstrueux qui m’exposent à me perdre de réputation, et je lui mettrai le marché en main, en le sommant de déposer une plainte. Après tout, c’est la meilleure manière d’en finir ; s’il est complice, il sera le premier épouvanté, s’il ne l’est pas il comprendra que la patience a des limites. »

Ces belles déterminations n’empêchaient pas Elvire