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L’AVIATEUR INCONNU

— On fait ce qu’on peut… Allons, sacrifiez-vous, mal­heureuse enfant !

Le sacrifice ne devait pas inspirer à la jeune fille une bien grande horreur, car elle ne discuta pas davantage. Posant son genou sur l’appui de pierre, elle alla au-devant du suppliant. Un long baiser les réunit que Jean-Louis, malgré sa position hasardeuse, eût voulu éterniser.

En dépit des apparences réellement fantaisistes qui, à première vue, ôtait à l’envoi de l’hommage aérien tout caractère sérieux, M. Bergemont cadet n’y pensait pas sans une satisfaction secrète. Le propre des maniaques est, en effet, de croire sans difficulté que les circonstances sont volontiers avec eux, d’accord avec leur idée fixe. Bien que, selon toute vraisemblance, le témoignage laissé par le raid nocturne fût l’œuvre d’un railleur, le père d’Elvire, sans oser le dire tout haut, inclinait assez à le considérer comme sérieux et sincère. Dans son enthousiasme per­manent pour les exploits de l’aviation, pour les grandes randonnées par-dessus les océans, dont les journaux rela­taient les moindres détails, le brave homme, réellement aveuglé, se trouvait dans les meilleures conditions pour adopter d’emblée les pires calembredaines.

C’est pourquoi, dans les jours qui suivirent et lorsque la conversation, entre Elvire, son père et son oncle, revenait au message, la jeune fille avait beau montrer à quel point ce sujet lui était désagréable, son père, lui, s’y attardait malgré ses protestations, malgré l’opposition systématique de l’incorrigible Bergemont aîné.

— Avec ton aviation et tes aviateurs, mon ami, lui disait Tristan, tu finis par extravaguer ! S’il t’arrivait le même accident qu’à Eschyle, tu rendrais l’âme avec joie !

— Qu’est-ce que ça signifie ? gronda Bergemont cadet, moins familiarisé que son frère avec les récits de l’anti­quité.

Occasion magnifique, pour l’oncle Tristan, de s’aban­donner au plaisir d’une petite conférence.

— L’illustre poète tragique était chauve. Un jour qu’il se reposait dans une vallée, un aigle qui venait de captu­rer une tortue et qui, du haut des cieux, cherchait du