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L’AVIATEUR INCONNU

— Vous vous trompez, Elvire, dit Jean-Louis, sans manifester d’embarras. Je vous répète que j’ai parlé sans arrière-pensée.

Et sans insister davantage, il détourna l’attention d’Elvire, tant et si bien que la demie de minuit avait sonné que les jeunes gens, Elvire dans le jardin, Jean-Louis appuyé au soubassement de la grille, devisaient encore. Apparemment, l’objet de leur conversation appartenait-il au domaine des confidences, car un passant, s’il s’en fût trouvé dans Pourville à cette heure tardive, n’eût pas manqué de constater que les deux charmants visages étaient singulièrement près l’un de l’autre.

Et la vie reprit aussi normalement qu’il était possible entre personnes dont l’état d’esprit présentait tant de dissemblances. Félix Bergemont, enfermé dans une dignité quelque peu maussade, s’efforçait de témoigner à sa fille la même affectueuse sollicitude que par le passé, sans toutefois réussir tout à fait à s’affranchir d’un peu de gêne. Elvire, de son côté, se croyait animée d’un naturel parfait, mais ne se rendait pas compte qu’elle manquait d’abandon et de spontanéité. Quant à l’oncle Tristan, c’était plus simple, il ne sortait presque plus de son appartement du deuxième étage, de peur, vraisemblablement, de se heurter au visage renfrogné de Félix ou à la mine soucieuse d’Elvire… Restait le pauvre Jean-Louis Vernal ! Celui-ci, encouragé par la jeune fille, et aussi par Tristan Bergemont avec qui, d’ailleurs, il semblait sympathiser de plus en plus, avait reparu, un soir, et, ma foi, n’avait pas été trop mal accueilli par le tyran de son destin. Bergemont cadet lui avait même tendu deux doigts sans hésitation aucune et c’est tout ce qu’il deman­dait, car il lui suffisait d’être toléré à la villa et d’appro­cher Elvire. Malheureusement, dès qu’il survenait, une gêne indéfinissable planait sur le groupe, gêne que le jeune artiste tâchait à dissiper de son mieux. Il égayait la conversation ou bien contait des histoires d’atelier, dans l’espoir d’arracher un sourire à Bergemont cadet, ce qui arrivait assez rarement, il faut en convenir. Jean-Louis s’était vite aperçu que toute allusion à la peinture devait être sévèrement condamnée, sous peine de mettre au supplice le père de celle qu’il aimait, en lui rappelant un