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L’AVIATEUR INCONNU

confiante qu’au temps où l’avion fantastique était encore ignoré. Les causeries des deux fiancés n’avaient plus ce tour empesé, contraint, de naguère, mais tout l’abandon et toute l’aisance qui conviennent à un jeune couple près d’être consacré par M. le Maire et M. le Curé. Flossie, aussi heureuse de leur satisfaction que si elle-même avait travaillé pour son compte, se félicitait de sa clairvoyance… Et quant aux frères Bergemont, l’aîné passait son temps à citer les passages les moins scabreux de Daphnis et Chloé, ou bien évoquait les ombres des amoureux célèbres ; Dante et Béatrix, Pétrarque et Laure, Renaud et Armide, pas toujours à propos, il faut en convenir.

Le seul à la villa Cypris qui persistât à montrer quelque réserve dans les manifestations de son contentement, c’était Bergemont cadet. Non pas que son entêtement n’eût été vaincu par le vivant témoignage fourni par sa belle-sœur, mais cet homme singulier gardait néanmoins dans le tréfonds de l’esprit, une espèce de doute, pour ne pas dire de crainte. Malgré l’évidence, il n’arrivait pas à se persuader que Jean-Louis, l’artiste peintre, si épris de son art, et qui, un soir, à ce sujet, lui avait si bien rivé son clou, eût trouvé assez de facultés morales et physiques pour se transformer si rapidement en aviateur. Non ! cela, Félix Bergemont ne pouvait se résoudre à le croire ! Ce rêveur qu’était Jean-Louis Vernal à ses yeux, cet idéaliste et ce méditatif, habitué à la palette, ne rêvant que de succès artistiques, lui paraissait être à cent lieues des chevaucheurs de nuages.

Toutefois, il se gardait de laisser voir l’incertitude dont il était habité, car il se rendait compte qu’on eût fort mal reçu l’expression de son doute. Il se taisait donc, affichait toute la bonne humeur dont il était capable, mais lors qu’il était seul, il se répétait inlassablement : « Je suis joué ! On s’est entendu pour me faire tomber dans un piège, Jean-Louis avait certainement un complice ! »

Au début, il avait bien essayé, nous l’avons vu, d’intéresser son frère à son tourment secret, mais Tristan, confident de Vernal dès la première heure, n’avait pas manqué de lui faire de violents reproches sur son incrédulité.

— Comment, tu refuses d’accorder à ce garçon, lui disait-il, la noblesse de caractère, le courage personnel dont justement tu réclamais des preuves ! Mais, mon