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sa langue, en proportion de son degré d’avancement, on n’a pas le droit, pédagogiquement parlant, de troubler ce travail en introduisant trop hâtivement les éléments d’une autre langue. Et cette raison a d’autant plus de force qu’on a voulu précisément alléger le programme en enlevant tout ce qui, dans le premier âge, empêche l’enfant d’acquérir la formation première.

Or, la formation première ne s’acquiert que par l’étude de la langue maternelle. Chaque être, en effet, se développe en fortifiant le principe qui lui a donné la vie. Pour lui inoculer une sève empruntée, il faut qu’il soit assez robuste pour se l’assimiler ; sinon il sera assimilé par elle.

Et c’est là une chose que l’on ne devrait jamais perdre de vue, dans l’enseignement, si l’on veut qu’il produise une culture de l’esprit, une formation, et non un simple bourrage du cerveau ou de la mémoire. Ce qu’il importe de donner tout d’abord à l’esprit de l’enfant pour l’« orienter, » ce sont des habitudes intellectuelles permanentes, qui créent la capacité personnelle de percevoir des idées, de les rendre dans son langage, de se les assimiler et les approprier à sa vie, les transformer en principes de vie intellectuelle. La valeur d’un homme, l’étendue de ses horizons intellectuels, se mesure à sa puissance de penser. Si l’on continue d’oublier cela, on ne cessera de ressasser le programme, de le décharger pour le recharger et y introduire, en les variant, mille choses réputées pratiques, et qui ont le tort de n’être nullement pratiques pour un âge qui ne demande qu’à s’assimiler des idées. Or, ce travail ne peut se faire qu’au moyen de la seule langue dans laquelle se sont moulées jusque-là, les connaissances qui ont pénétré de l’extérieur dans l’intelligence du petit. Aussi l’on n’a qu’à jeter les yeux sur les revues pédagogiques de France, qu’à entendre les critiques, et les vœux formulés, en ces derniers temps, dans les pays de langue française, sur la question de la première éducation, pour constater que l’accord se fait sur ce point : pour créer l’instrument du travail intellectuel, il faut intensifier la culture de la langue maternelle. Fortifions donc cet outil, le seul que connaisse l’enfant, avant de lui en fournir d’autres qui lui sont étrangers. Illusion de croire que l’enfant ne sera pas plus apte à ajouter à son édifice intellectuel quand la base aura été solidement assise ! Et cette base, c’est sur la langue maternelle qu’elle doit reposer.

Ce défaut de capacité de penser et de s’exprimer convenablement de vive voix ou par écrit, n’est-ce pas ce que déplorent, sur tous les tons, les éducateurs de toute catégorie qui sont dans l’enseignement pratique ? C’est cette lacune qui a motivé la refonte du programme. C’est à cette lacune que nous nous heurtons aux examens d’admission lorsque se présentent aux diverses écoles spéciales les élèves qui ont fait un stage plus ou moins long aux écoles primaires. Ils ont vu de tout et ne savent ni parler ni écrire. Ils répondront de mémoire en citant des pages apprises par