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aurait-il monté s’il n’avait possédé ce levier puissant ? Dans l’industrie et le commerce trouvons-nous un seul homme ou une seule femme, ne sachant pas l’anglais, qui occupe une situation supérieure ? On admet peut-être, à la rigueur, les manœuvres et les femmes de peine, et encore…

L’expérience nous a trop démontré la nécessité absolue de l’anglais pour qu’une propagande, si bien établie et servie soit-elle, puisse dorénavant prévaloir contre la force des choses. Nous savons que toutes les situations nous sont fermées, même dans les milieux canadiens français industriels et commerciaux, si nous ne possédons parfaitement la langue anglaise, indispensable là tout autant que dans l’industrie et le commerce anglais. Et si, même chez les nôtres, l’ignorance de cette langue nous constitue une infériorité marquée, comment voulons-nous arriver à des situations dans les milieux canadiens-anglais ?

On ne se préoccupe que de l’école primaire, craignant par-dessus tout que renseignement d’une langue étrangère nuise à l’étude de la langue française. Nous respectons profondément ce souci patriotique, mais nous nous demandons, d’autre part, si les conditions matérielles qui existent ici, et auxquelles nous ne pouvons rien changer, nous autorisent à exclure l’anglais de notre enseignement primaire. Combien d’enfants n’auront pas la facilité de poursuivre leurs études au-delà des classes premières et seront ainsi condamnés à végéter toute leur vie dans des situations inférieures… Aurions-nous vraiment le droit de condamner les nôtres aux métiers inférieurs, auxquels trop longtemps notre ignorance de l’anglais nous a contraints ? Allons-nous prendre la grave responsabilité de retrancher de la vie canadienne cet élément de force et de progrès que représente la langue anglaise ? Les pères de famille, ceux-là qui savent mieux que tous les éducateurs, combien la lutte est rude, consentiront-ils à ce que leurs enfants soient privés de ce moyen indispensable de faire face à la vie matérielle, et accepteront-ils de les voir condamner à une infériorité voulue ? Dans les milieux éloignés des grands centres, là où l’anglais ne se parle jamais, ce programme sera, peut-être, accepté sans récrimination, mais ailleurs ? Dans les villes, ou près des villes, là où la vie de tous les jours nécessite l’emploi de l’anglais, et où son ignorance constitue un embarras constant, acceptera-t-on aussi bénévolement de se laisser déposséder des moyens d’acquérir cette connaissance indispensable ? Nos écoles ne seront-elles pas désertées pour les écoles anglaises, et les pères de familles ne seront-ils pas justifiables d’en agir ainsi ? Est-ce bien favoriser le développement d’une race que de la priver sciemment d’un moyen d’action tel que celui-là ?

Nos petits Canadiens français des écoles primaires, et hélas ! souvent des autres, parlent déplorablement le français et baragouinent à peine quelques mots d’anglais, et cela à part de très rares exceptions. Jus-