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Le genre de littérature qui devait refleurir le plus difficilement au milieu des ruines de l’aristocratie est la poésie, le plus délicat et le plus désintéressé de tous les arts. Les classes qui gouvernent les sociétés nouvelles, appliquées aux affaires et soucieuses de leur fortune, ne comprennent guère le beau séparé de l’utile ; elles n’ont pas assez de loisir pour réfléchir sur toutes les nuances de nos sentiments. La poésie est un langage plein de choses sous-entendues : pour la sentir, il faut beaucoup deviner. Le plaisir qu’on lui doit est de marcher vers un but mystérieux qu’on n’atteint jamais. De notre temps, le sentiment du vague est importun : on aime le grand jour, et l’on sait parfaitement ce qu’on désire. Or, lorsque le poëte cherche à nous désenchanter de ce monde, au profit de celui qu’il rêve et colore, que seront ses chants aux oreilles de la démocratie pressée de jouir de sa récente victoire, si ce n’est la plainte harmonieuse de la folie, du malheur ou de l’oisiveté ? L’affaiblissement du sentiment religieux explique encore la décadence de la poésie. Le matérialisme nous rend sourds aux hymnes de l’amour et de l’espérance ; mais les louanges de Dieu seront le signal auquel répondront les accords de plus d’une lyre ; la prière et l’enthousiasme ont pour com-