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cette grâce convenue dans le langage et les manières lui imposait des règles factices : la littérature avait son étiquette. En peignant les orages des passions, il fallait se contenir et ne choquer aucune bienséance ; la hardiesse ne devait jamais s’oublier.

Depuis que la politique est devenue la passion générale, les travaux désintéressées de l’esprit n’obtiennent plus l’attention : ils sont condamnés à l’arracher. Le succès est un second ouvrage plus difficile même à accomplir que celui de l’intelligence ; et l’effort nécessaire pour obtenir la renommée n’a plus rien de commun avec celui qui fait qu’on en est digne. De là deux sortes de génies, l’un qui nous rend célèbres, l’autre qui nous rend admirables : on vaut par celui-ci, par celui-là on se fait valoir ; or, peu à peu, on s’est accoutumé à regarder la mise en œuvre comme beaucoup plus précieuse que l’œuvre même. Ainsi le temps employé par l’homme de lettres à combattre l’indifférence publique est perdu pour la fécondité du talent. Dans cette déplorable lutte, son courage se brise ou sa dignité s’évanouit. S’il dédaigne d’enfler sa voix pour se faire entendre, la foule passe, et il demeure seul enveloppé des ombres de l’oubli. S’il se remue trop indiscrètement pour attirer les yeux, les