profit de ses plus grands hommes. Ce fut donc un avantage à l’état de Venise d’avoir commencé par la démocratie. Les choix de ses magistrats en devinrent meilleurs. Le principe électif fut redevable à cette circonstance, de longtemps prévaloir dans toutes les charges publiques. Ceux qui tenaient en mains le gouvernement ne purent oublier l’origine de leur autorité. D’ailleurs le peuple se chargea par de terribles exemples de ne pas leur en laisser perdre la mémoire. Cette sombre et menaçante jalousie qui exista, durant tant de siècles, entre les différents pouvoirs de l’État, était un reste et un effet de la liberté première. Quelque puissant qu’on fût, on sentait que l’autorité était quelque chose d’instable ; tremblant de déchoir, chacun se gardait contre l’ambition et l’inimitié des autres ; surveillé par eux, il tâchait à son tour de les prendre en défaut. Ce besoin perpétuel de circonspection, pour ne pas donner prise à la haine, était cause que, du petit au grand, nul magistrat ne s’endormait. Comme il y allait souvent de l’honneur, de la liberté, même de la vie, on n’avait rien de mieux à faire que de s’abriter dans les grands services qu’on rendait à l’État. Les choses se trouvaient donc poussées de telle sorte que les chefs de la république trouvaient leur sûreté dans sa gloire. Ainsi les mœurs de la démocratie subsistaient encore chez les patriciens de Venise, après l’établissement de l’aristocratie légale. Ce corps redoutable formait comme une autre république au sein de la première, et si quelque chose pouvait consoler le bas peuple de la servitude, c’étaient les perpétuelles agitations que la liberté de s’entre-détruire causait dans la destinée de ses maîtres.
Sur les cinquante premiers doges que le peuple avait mis à sa tête, cinq avaient été égorgés, un même nombre banni avec les yeux crevés, et neuf autres condamnés à l’exil ou