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ce qu’elle a de plus intrépide, la courtoisie dans ce qu’elle a de plus délicat, le soin des apparences dans ce qu’il a de plus recherché, la plus extrême sensibilité à l’offense la plus légère, le plus facile des pardons après le plus mortel des outrages, le don d’un sixième sens pour discerner des nuances invisibles aux grossiers organes, le souvenir des morts, et l’ame transformée en un temple où habitent leurs images : je crois avoir dit ce qu’était l’honneur, et je m’aperçois que ce serait le peindre mieux que de confesser qu’il se joue de mes définitions et y échappe par cent côtés à la fois.

Une si merveilleuse déférence à l’opinion produisait un constant désir de plaire ; on avait perfectionné le commerce de la vie ; la politesse était un art qu’on ne pouvait pratiquer dans tous ses raffinements qu’en étant né là où s’en trouvaient les exemples : la noblesse se révélait à force de s’oublier ; les procédés envers les femmes étaient mêlés de sentiments si compliqués, que toute l’ame était en jeu dans ce mystère ; enfin, à en juger seulement par les apparences, l’aristocratie vivait dans une région où tout devenait plus élégant et mieux proportionné, où la nature humaine avait des instincts choisis qu’on ne trouvait pas ailleurs, où les sens se subtilisaient, où l’esprit avait un toucher qui lui était propre, où le bon goût faisait éprouver mille perceptions inconnues aux autres hommes, où l’on érigeait en vertu la bienséance, et où toutes les qualités du cœur et de l’esprit faisaient partie des lois de la politesse.

Loin d’être injuste envers la noblesse, nous reconnaissons tous les avantages attachés à une institution qui fait que tant de générations illustres vivent toujours, représentées à chaque époque dans un seul homme qui semble avoir son berceau dans les siècles, institution qui met, dans chaque goutte de votre sang, le sou