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des barricades au bagne

Nous pénétrâmes dans l’établissement, après que j’eus placé à l’entrée principale deux factionnaires et que toutes les issues furent gardées. Avec le concierge et le sous-officier qui m’accompagnait, nous montâmes au premier et au deuxième étages, où régnait le plus grand désordre. La saleté, la puanteur du dortoir mirent nos nerfs olfactifs à une rude épreuve. Oh ! l’horrible, l’épouvantable chambrée !

Vases nocturnes ébréchés et souillés de matière fécale, vêtements de toute espèce, permettant d’aller le soir rôder en ville ; fioles de tous genres, seringues, ingrédients divers, peignes crasseux, vieilles chaussures d’où s’échappent des relents à faire faillir le cœur le plus intrépide.

Tel était ce lieu pestilentiel. Nous courûmes aux fenêtres avant de procéder à un examen plus sérieux, et nous les ouvrîmes toutes grandes : nous n’eûmes qu’à nous louer de cette précaution, qui nous permit de nous rendre un compte plus exact de la vie intime de ces émules de J.-B. de la Salle, auxquels, par nécessité, et grâce au mauvais vouloir, à la complicité des pouvoirs publics, on confie, aujourd’hui encore, des centaines de milliers d’enfants du peuple.

A l’heure où j’écris ces lignes, c’est-à-dire trente-cinq ans après la chute de la Commune et trente-sixième année de la République troisième, un demi-million d’enfants fréquentent les écoles des frères de la doctrine chrétienne, et le rouge de la honte ne monte pas au front de nos dirigeants !

Même certains parlementaires du « Bloc » s’extasient au souvenir des services rendus par les « chers frères » et laissent se continuer cette monstruosité : la population infantile de la République livrée à l’enseignement congréganiste !

Après cela, il est des républicains assez naïfs pour s’étonner des assauts de la réaction, du réveil de la chouannerie, de la répugnance pour l’hygiène que l’on constate partout où fleurit l’éducation cléricale.

C’est miracle, peut-on dire, que ce crime des républicains de gouvernement n’ait pas achevé de tuer la République et qu’elle ait pu résister aux attaques de ses ennemis prenant le masque boulangiste ou nationaliste.