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des barricades au bagne

Les bons Pères du Saint-Esprit avaient totalement atrophié le peu d’intelligence que ces deux automates avaient pu posséder, et nous comprîmes combien nous avions eu tort de les accuser : nous étions en présence de deux malheureuses victimes de l’éducation dite chrétienne, d’êtres irresponsables. Quant au briseur des scellés, nous ne pûmes le découvrir.

Plus tard, lorsque Houldinger vint me retrouver au bagne — car le gaillard ne fut pas ménagé par messieurs les membres du Conseil de guerre — nous nous égayâmes en nous remémorant cette scène drolatique.

Les forces de la légion se trouvant à peu près réorganisées, nous crûmes utile de faire coïncider leur revue avec la manifestation anticléricale que nous avions projetée à l’occasion de l’enlèvement de la croix du Panthéon et de son remplacement par un immense drapeau rouge.

La veille, en même temps que les chefs de bataillon, les deux capitaines de l’artillerie et du génie de la cinquième légion recevaient les instructions nécessaires pour se préparer pour le défilé du lendemain ; durant ce temps, sous la direction du citoyen Fouques, de hardis ouvriers abattaient les deux bras de la croix qui enlaidissait le chef-d’œuvre de Soufflot, et le Comité des femmes socialistes apportait à la mairie un vaste et superbe drapeau, que ces vaillantes citoyennes offraient à la Commune.

La manifestation fut vraiment grandiose et les cléricaux en conçurent contre moi une de ces haines que l’espace et le temps sont impuissants à faire disparaître. Lorsque la rouge oriflamme, se déroulant orgueilleusement, claqua au vent, une formidable acclamation s’éleva de la place et des rues entourant le Panthéon, pendant que le canon tonnait et que la petite armée révolutionnaire défilait aux accents du Chant du départ, où se mêlaient les cris de « Vive la République ! Vive la Commune ! »

Après tant d’années écoulées, on peut se demander ce que sont devenus les acteurs et les spectateurs de cette manifestation civique et rationaliste ? La mort a largement moissonné à travers leurs rangs, mais l’idée a triomphé malgré tout : la croix enlaidissant le monument essuiera sous peu une seconde et, espérons-le,