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mémoires d’un communard

— L’impossibilité matérielle de remplacer les quelques braves qui défendent la tranchée, comme de relever les épaulemenls et de mettre en batterie les canons indispensables à la défense de la position, me faisait, nous dit-il, une obligation de ne pas sacrifier inutilement l’existence des rares défenseurs du fort, et j’allais profiter de la nuit pour l’évacuer.

Nous l’engageâmes à prendre courage en lui faisant entrevoir que l’abandon du fort équivaudrait à la livraison d’une ou deux portes de Paris et, pendant que les obus pleuvaient, nous visitâmes les casemates. Quant au casernement, il ne formait qu’un amas de décombres sur lesquels s’acharnaient les bons artilleurs de France.

Les ombres de la nuit envahissaient la forteresse, quand nous perçûmes le bruit d’une troupe en marche : c’était la batterie du XIVe arrondissement, précédant de quelques centaines de mètres le 160e bataillon de la cinquième légion.

Un cri formidable de : « Vive la Commune ! » retentit et apprit, aux camarades héroïques qui défendaient les approches de la position menacée, que des renforts venaient leur prêter la main et sauver d’une reddition imminente le fort de Vanves, pour la défense duquel plus de la moitié des hommes de la tranchée avaient sacrifié leur vie.

Ainsi se terminait cette soirée du 4 avril. Grâce à un ensemble d’imprévoyances sans nom, à la méconnaissance des forces dont disposait l’adversaire et des exigences de la guerre, l’opération échouait piteusement. Des centaines de prisonniers, de nombreux morts et blessés, la fin tragique de Flourens et de Duval — ce dernier assassiné par Vinoy — constituaient le bilan d’un mouvement aussi mal conçu que déplorablement mené.

On reste confondu quand on sait qu’il suffit à Versailles de mettre en ligne trois ou quatre régiments d’infanterie et deux de gendarmerie, trois bataillons de chasseurs à pied, quelques escadrons de cavalerie et un peu d’artillerie pour arrêter des forces trois fois supérieures en nombre, mais si mal menées, qu’avec un peu d’audace les Versaillais eussent pu les refouler jusque dans Paris.