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mémoires d’un communard

Quant à moi, définitivement fixé sur la profession et les intentions de ces deux personnages, j’écoutais, les dents serrées, les yeux fixés sur le journal, attendant impatiemment que la dernière station fût franchie.

Nous voici aux remparts : deux canons menacent la voie du chemin de fer ; quelques fédérés se montrent : je suis au milieu des miens !

Les deux agents secrets se taisent : c’est à leur tour de craindre. Le train fait halte ; nous voici en gare. Nous descendons, moi troisième ; mes deux compagnons de voyage me saluent et s’éloignent rapidement. Je presse le pas et les rejoins.

Vers la sortie se voient quelques gardes nationaux, mais c’est uniquement pour la forme qu’ils se trouvent là : on entre dans la ville révolutionnaire comme dans le beurre, ainsi que le disait, en se moquant, l’un des mouchards.

A quelques pas du kiosque, placé alors près de la sortie, se tenait un capitaine de fédérés ; je me dirige vers lui et, désignant les deux agents secrets qui vont gagner l’escalier :

— Capitaine, emparez-vous de ces deux hommes : ce sont des espions versaillais ! Ce disant, je me plaçai devant eux, leur barrant le chemin.

Ils étaient stupéfaits, comme hébétés d’une telle aventure.

Le capitaine et les deux ou trois gardes se précipitent sur eux et les appréhendent. Pendant qu’on les fait pénétrer dans une des salles d’attente, le capitaine me prie de décliner mon nom et de lui fournir quelques explications, ce que je m’empresse de faire.

Durant ce temps, on fouille les prisonniers, sur lesquels on trouve des armes, certains papiers et leur carte d’agents de la Sûreté. Le capitaine me remercie et convient avec moi, non sans quelque embarras, que Paris est aussi peu gardé que Versailles l’est étroitement :

— Que voulez-vous, citoyen, nous sommes des travailleurs, et le métier de sbire nous répugne. Combien il eût été préférable de marcher de suite sur Versailles !…

La voilà la faute capitale, commise par les hommes qui assumèrent la responsabilité au 18 mars 1871.