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des barricades au bagne

— Vous faites très-bien, Monsieur ; ils seront beaucoup plus en sûreté à Versailles qu’à Paris, où des gens sans aveu fourmillent en ce moment.

Je ne bronchai pas, me contentant de répondre que je ne savais pas grand’chose en politique et que je regrettais seulement que la tranquillité ne se rétablît pas dans le pays.

— N’ayez crainte, continua à dire mon loquace interlocuteur, on ne tardera pas à mettre à la raison les chenapans et les turbulents ; ce sera l’affaire de quelques jours, car l’armée se reconstitue très rapidement.

Puis, prenant dans la poche de côté de son pardessus une poignée de cigares !

— Tenez, Monsieur, prenez un cigare…

— Merci, lui dis-je, je ne fume pas ; et je me remis à lire.

Malgré sa désespérante lenteur, le train n’en franchissait pas moins les stations et Paris se rapprochait, mais pas assez vite à mon gré, car j’avais hâte de me confirmer dans mes soupçons. Tout en fumant, l’intarissable policier, auquel son collègue refusait le plus souvent de répondre, s’adressa encore à moi :

— Vos parents demeurent loin dans Paris, monsieur l’employé ?

— Boulevard de l’Hôpital, en face de la Salpêtrière, répondis-je, me demandant si cet individu n’avait pas l’intention de m’accompagner à travers Paris.

— Je connais très bien ce quartier, mais il y a longtemps que je n’y suis allé… Il est même probable que je n’y retournerai pas de sitôt ; pourtant, on ne sait pas…

Et, revenant à ses préoccupations touchant l’insurrection :

— C’est égal, ne trouvez-vous pas étonnant que des voyous se puissent tranquillement prélasser à l’Hôtel de Ville, dans les palais gouvernementaux ; puisent à pleines mains dans les caisses publiques, fassent la loi aux honnêtes gens… Qui aurait pu penser cela, il y a seulement deux ans ! Heureusement qu’il n’y en a pas pour longtemps, n’est-ce pas, mon vieux ?

— C’est probable ! répondit le second policier, qui paraissait peu goûter le bavardage de son collègue.