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des barricades au bagne

une peine relativement légère : un mois de prison. Sa peine terminée, il put revenir à Paris et combattre dans les rangs des fédérés.

Cette arrestation allait donner l’éveil à la police, de même que le départ des marins provoquerait une enquête et, peut-être, le changement de la garnison du château. La situation menaçait de devenir critique et je devais redoubler de prudence, surtout dans l’intérêt des citoyens que j’avais entraînés dans ma hasardeuse entreprise.

Le 29 mars, c’est-à-dire le lendemain de l’arrestation de Devaux, je longeais, en compagnie de deux typographes, la grille des Grandes-Ecuries quand, jouant de malheur, je croisai deux individus appartenant à la police. L’un d’eux avait, sous l’Empire, la spécialité des réunions publiques, et il me reconnut. Il fit signe à son collègue et, faisant demi-tour, ils se disposaient à m’arrêter, mais je les prévins : m’élançant avec autant de rapidité que d’à-propos, je gagnai assez de terrain pour leur échapper, et cela malgré les nombreux policiers amateurs qui, avec ces premiers, me poursuivirent à travers Versailles, tels des chiens en chasse.

A force d’efforts et de souffle, je pus gagner la rue des Réservoirs et entrer dans le château quelques instants avant que mes poursuivants n’eussent atteint ladite rue. Il était grand temps, car j’étais hors d’haleine. De l’imprimerie où je me tenais, le cœur battant à coups précipités et le visage inondé de sueur, j’entendais la course des limiers de police ; des voix haletantes s’élevèrent :

— Il a gagné la grand’place !

Mais d’autres poursuivants, venant en sens inverse, assurèrent que j’avais dû fuir du côté du parc, et toute la meute humaine s’élança dans cette direction.

J’étais hors de danger, mais était-ce pour longtemps ? L’atelier de composition se trouvait vide de personnel, et, de ce chef, je n’avais à craindre aucune indiscrétion ; quant aux deux marins de garde, ils étaient à un million de lieues de se douter que j’étais l’homme pourchassé, ayant pu, au moment de franchir l’entrée, modérer mon allure et donner le mot de passe, sans trouble apparent.