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mémoires d’un communard

Le rendez-vous était fixé à onze heures, à gauche de la terrasse de l’Orangerie. Nous nous y rendîmes par la rue de ce nom tout en causant des derniers événements. Salles, mûri par une longue expérience, n’avait aucune confiance en îa réussite du mouvement insurrectionnel.

Après une courte observation de ma part, il s’écria :

— Mais quarante bataillons de la garde nationale devraient être ici depuis hier ! tandis que je ne vois arriver que des gendarmes, des cavaliers et des fantassins de toutes les armes.

— C’est aussi ma façon de voir, lui dis-je, et la preuve, mon ami, c’est que je ne suis à Versailles que pour examiner la situation et, si l’on veut bien m’aider, tenter tout ce qui sera possible, voire même impossible.

— Je m’en doutais, me dit Salles, mais j’ai grand’peur que vous ne réussissiez qu’à vous faire arrêter ou tuer.

— Bah ! lui dis-je, je suis dans la série blanche ; vous verrez que je réussirai, pourvu que l’on me prête appui.

Nous nous arrêtâmes rue de l’Orangerie pour casser la croûte ; un moment après, nous nous dirigeâmes vers la Terrasse du Château.

Nous parvînmes bientôt au pied du grand escalier, situé à droite de l’Orangerie, et nous le gravîmes sans nous douter que moins de trois mois après je serais enfermé au-dessous de ces vastes marches, dans le bourbier connu depuis sous le nom de Fosse-aux-Lions.

Millière nous avait aperçus et nous attendait.

Après un serrement de mains relativement froid, nous parlâmes de l’Assemblée, des menaces de la réaction contre Paris et la République, de la démission d’une partie de la représentation parisienne, des critiques sévères et justes — c’était ma manière de voir — dont lui, Millière, Tolain, Louis Blanc, Arago, Langlois, etc., étaient l’objet.

Millière se fâcha.

— Je reste dans cette Assemblée, où je ne compte plus mes ennemis, dans le seul intérêt de la République ; j’y demeure aussi pour défendre Paris ; par conséquent, je fais mon devoir aussi bien que ceux qui ont démissionné ou quitté l’Assemblée…

— Citoyen Millière, répliquai-je un peu vertement,