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des barricades au bagne

et de gendarmes qui dévisageaient les voyageurs. Beaucoup de soldats regagnaient également Versailles, les uns porteurs de leurs armes et de leur équipement ; les autres, tout penauds, ne possédant ni sac, ni fusil, craignaient d’être punis sévèrement.

Pourquoi le Comité central laissait-il partir des hommes qu’il eût été si facile de retenir à Paris ?

J’étais navré d’une pareille incurie qui compromettait la Révolution naissante.

Quand viendra donc l’heure où le peuple, enfin conscient, saura faire ses propres affaires ?

Nous voici arrivés. La gare est remplie de troupes de police ; des officiers de paix, des officiers de gendarmerie, des agents de la Sûreté font défiler les voyageurs sous leurs regards scrutateurs.

Des arrestations s’opèrent ; des soldats sans armes sont bousculés, menacés, frappés, placés à part sous la surveillance de la gendarmerie prévôtale.

Je défile à mon tour, ma commission à la main. Un des officiers de paix dit :

— Ce monsieur appartient au château !

Je passe en souriant. Au dehors, j’entends cette exclamation :

— Comment, c’est vous !…

Je reconnais le citoyen Salles, ex-secrétaire de la Commission ouvrière du Luxembourg, en 1848, et membre du Comité du 5e. Je lui fais signe de se taire et lui serre chaudement la main.

Il m’explique que son étonnement de me voir à Versailles a été tel, qu’il n’a pu éviter sa fâcheuse exclamation, laquelle aurait pu attirer l’attention de quelque agent secret et me créer des ennuis.

Puis il me dit qu’il est à Versailles, chez un ami ; qu’il y est venu pour rétablir sa santé quelque peu ébranlée par les privations et les fatigues du siège. Il ajoute qu’il a pris rendez-vous avec Millière, et me demande si je veux l’accompagner.

Ayant du temps devant moi, j’accepte son invitation, d’autant que nous étions des milliers à blâmer Millière d’être demeuré à l’Assemblée quand Delescluze, Tridon, Malon, etc., s’en étaient retirés, et que je désirais lui demander des explications à cet égard.