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des barricades au bagne

Besançon. II fut, au dehors, un bandit redoutable, en même temps qu’un travailleur très rude ; fort comme Hercule, il se livrait aux besognes les plus pénibles, pourvu qu’elles ne durassent que quelques heures et qu’elles rapportassent de hauts salaires.

Balles de chiffons pesant cinq cents kilos et portées à dos, deux sacs de farine chargés et transportés ensemble à travers des escaliers peu commodes, étaient des besognes recherchées par Besançon. Mais, si les occasions de travailler se faisaient rares, si l’argent, vite dépensé, faisait défaut, Besançon refusait d’attendre : posté en un coin sombre, il attendait le passant attardé, l’assommait d’un coup de poing ou l’envoyait rouler à terre d’un terrible coup de tête, et, après l’avoir fouillé et dévalisé, s’en allait paisiblement. Deux ou trois fois, il lui arriva de soulever de ses doigts de fer la plaque d’un égout et d’y précipiter ses victimes.

Trapu, velu comme un ours, tête énorme, Besançon avait réellement l’aspect d’un plantigrade, et si l’occasion de se procurer du tafia lui était offerte et qu’il s’enivrât, il n’avait d’autre désir que celui de se battre, de mordre, de tuer. Chez lui l’homme disparaissait totalement ; seule, la bête demeurait.

Le curieux, c’est que la Surveillance, de tout temps, l’avait ménagé. On parlait d’actes de courage par lui accomplis ; en tout cas, s’il connut le peloton de correction et la double chaîne, je n’ai pas souvenance d’avoir entendu dire que le supplice du martinet lui eût été appliqué.

Tel était le forçat Besançon, très populaire, malgré la terreur qu’il inspirait au Pénitencier-Dépôt.

Or, un jour que le tafia avait été abondant et que Nutzbaum-Besançon cheminait, zigzagant et monologuant, sur la route menant au Pénitencier, D…, beaucoup plus bête qu’intelligent, trouva à propos de l’interpeller. Mal nous en prit : Besançon franchit lestement le fossé qui le séparait du champ où D…, moi et Eyraud travaillions et se précipita sur ce premier.

D…, pris de peur, se réfugia derrière moi, et, les yeux ensanglantés, la bouche écumante, son adversaire s’élança de mon côté. Comprenant que tout raisonnement était inutile et qu’il me fallait découvrir D…