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mémoires d’un communard

quelque méprisables qu’ils soient aux yeux de certaines gens, m’apparaissent comme autrement supérieurs à toute cette vermine qu’on coudoie chaque jour en notre milieu prétendu policé et qui, sous son masque d’honnêteté, cache les vils sentiments qui l’agitent ; échafaude, pour satisfaire a ses besoins de luxe ou à son ambition, les projets les plus lâches et les plus scélérats.

Je pourrais philosopher longuement, établir de nombreux parallèles entre ces deux forçats qui, même au bagne, ont pu encore déchoir, tomber plus bas au regard du mépris général, et les autres catégories de citoyens qui composent la société actuelle, mais je dois me borner. Laissant donc de côté l’élément dont je parlais plus haut, je ne retiendrai que celui dit conservateur ou partisan de l’organisation capitaliste. La haine que cet élément nourrit contre les révolutionnaires n’est inspirée que par la peur qui le hante de ne pouvoir abuser du travail des autres et jouir en paix de ses « larcins légaux ». Il devait donc se montrer l’ennemi de la Commune et des communards.

Pour Guérino et Ledoux, ils avaient, d’instinct, parfaitement compris qu’étant eux-mêmes victimes du milieu social contre lequel je m’étais violemment levé, il était naturel qu’ils fissent pour moi tout ce qui dépendait d’eux. En aidant à la transformation de la société, à la suppression de cet appel constant au crime : la propriété individuelle, ne cherchai-je pas à rendre les bourreaux inutiles et, avec ces derniers, les juges, les geôles et les bagnes ?

Les bourreaux rendus inutiles ! n’était-ce pas la disparition de leur affreux cauchemar, de la cause première de leurs angoisses chaque fois que les « honnêtes gens », représentés par de hauts fonctionnaires, leur imposaient de supprimer un de leurs semblables ?

Tout cela se présentait peut-être obscurément à leur esprit, mais j’ai la conviction — et toute autre hypothèse ne se pourrait raisonnablement établir — que c’était là la raison d’être de leur attitude à mon égard.

N’ai-je pas dit que ce vague sentiment de reconnaissance des damnés de l’enfer social pour ceux qu’ils savaient révolutionnaires, n’embrassait pas la totalité des condamnés de la Commune : les deux bourreaux, comme