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des barricades au bagne

qui lui indiquèrent aussitôt la corderie où Ledoux, trois jours après son arrivée à Sydney, avait été embauché et travaillait. Le surveillant principal s’y rendit et fit demander Ledoux. L’entrevue ne manquapas dépiquant. Maître de lui, l’ex-bourreau fit comprendre à l’envoyé de Charrière qu’il perdrait son temps en cherchant à l’entraîner dans un guet-apens quelconque, et qu’il en serait de même à l’égard de ses compagnons d’évasion. Ce n’était pas après avoir couru tant de périls pour conquérir leur liberté qu’ils iraient la compromettre en donnant dans les pièges qu’il essaierait de leur tendre de complicité avec les détectives locaux.

Après deux ou trois tentatives infructueuses pour s’emparer de Ledoux et l’enlever, le sieur Nutzbaum dut regagner l’Ile Nou et s’en revenir, tel un renard auquel on aurait coupé la queue.

Charrière faillit en tomber malade de rage impuissante. Cet homme qu’il avait, de par son bon plaisir, condamné une seconde fois en l’obligeant à devenir bourreau, et dont chaque exécution représentait pour lui une nouvelle torture, lui échappait, le narguait et le méprisait.

J’étais, malgré mon chagrin, très satisfait de savoir Ledoux hors de la portée de ce monstrueux personnage, d’autant que je ne pouvais légitimement formuler aucun reproche contre l’ex-bourreau, et qu’il n’avait pas dépendu de lui que je ne fisse partie de l’évasion, qui s’était terminée si heureusement pour les quatre fugitifs de l’Ile Nou.

La vie est ainsi faite que, parfois, les choses les plus invraisemblables se produisent. Une minute de libre entretien avec le bourreau Ledoux et le forçat de la Commune échappait à la haine du sieur Charrière et aux souffrances qui l’attendaient encore.

Pendant qu’au cours de mon existence une foule de personnes, prétendues honorables, se sont acharnées contre moi, deux forçats, deux coupeurs de têtes, c’est-à-dire deux êtres méprisés par ceux-là mêmes que notre société a rayés de ses cadres, m’ont témoigné de l’intérêt, ont couru pour moi des risques en tentant de m’être utiles !…

Guérino et Ledoux, tout bourreaux qu’ils furent,