Celui-ci, à l’encontre de ses camarades, peu enclins à risquer de se faire blesser ou tuer pour messieurs les surveillants militaires, s’offrit à mater le récalcitrant sans l’occire, car Lapierre n’entendait pas que, sous ses yeux, on touchât à la vie d’un ancien collègue du « grand corps ».
Cet ex-matelot s’appelait Février. Il se munit d’une gaffe et ayant décidé un de ses compagnons à venir l’aider dans ce combat inégal, il demanda qu’on lui prêtât un matelas et, l’ayant piqué de sa galle, il se fit ouvrir l’espèce de cabine où Lullier, entendant qu’on venait le relancer, menaçait et jurait.
La porte à peine ouverte, et au moment même où le tranchant de la hache jetait comme un éclair, Février, plus prompt que son adversaire, parait le coup qui lui était destiné en saisissant Lullier au cou à l’aide de sa longue gaffe, le serrant et le comprimant contre une des parois du réduit, durant que son camarade, protégé par le matelas que la gaffe maintenait debout et le long du corps de l’adversaire, se ruait sur Lullier et lui liait les jambes.
Ce dernier, à moitié étranglé, laissa tomber la hache et dut se rendre à merci. On en profita pour lui lier les poignets.
Au moment de descendre dans le canot, il se retourna vers Février et l’invectiva.
— Que voulez-vous, répondit celui-ci, chacun prend sa revanche comme il peut. Rappelez-vous du matelot Février, de la Calédonienne.
Lullier refusa de revêtir les effets du bagne, qui lui avaient été apportés plutôt pour la forme. On le conduisit ensuite dans une des cellules des condamnés à mort, et on chargea les sœurs de l’hôpital de pourvoir à son alimentation quotidienne.
Le jour même de ma sortie, on m’inscrivait comme ouvrier jardinier au jardin potager de la Transportation, situé près de l’hôpital du Marais. Ce classement me fit comprendre que le travail effectué par moi dans le jardin du bourreau n’était pas étranger à cette inscription qui, autrement, ne se pouvait expliquer.
Ledoux ne m’avait-il pas dit que le bourreau pouvait rendre certains services, et n’en était-ce pas un fort ap-
