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des barricades au bagne

pas tarder, et si un correcteur avait l’idée de passer par ici, il faut qu’il vous trouve au travail. Venez, je vais vous indiquer la besogne que vous aurez à faire aussi longtemps que durera votre temps de prison. Pour le reste, rapportez-vous en à moi.

Mon mois de prison s’écoula sans autres incidents, si ce n’est que je dus, la dysenterie ayant décimé les transportés que la Loire venait de débarquer, aider à en enterrer un très grand nombre. Commencée dès l’aube, notre besogne ne se terminait souvent qu’à la nuit. Le charnier était situé au revers du mont qui domine le Pénitencier, et le transport des cadavres ne s’exécutait qu’au prix de très grandes fatigues, sans compter que la mise en bière, plus que rudimentaire, n’allait pas sans me soulever le cœur : les hommes morts de la dysenterie offrant un spectacle auquel j’étais loin d’être préparé.

Plus de deux cents condamnés venus par la Loire moururent presque aussitôt leur débarquement.

Quel que fût mon écœurement à manier ces misérables dépouilles humaines, je n’en redoutais pas moins de voir venir le moment où je devais regagner la prison infecte, à la repoussante promiscuité, à l’atmosphère suffocante, édifiant ensemble les conditions moralisatrices de la transportation, présentée aux bons contribuables français comme une entreprise de relèvement moral et de colonisation.

Et il est beaucoup de braves gens qui s’étonnent lorsque, le hasard les favorisant, des êtres plus ou moins pensants, ayant traversé ces abominables milieux et revenant au sein de la société, s’y comportent comme des bêtes fauves.

Combien leur étonnement serait moins grand s’ils se donnaient la peine de connaître les criants abus, les ignominies et les crimes qui, chaque jour, sous le couvert d’une Administration aussi hypocrite que corrompue, se commettent impunément.

De temps en temps un scandale éclate ; l’opinion s’en émeut juste le temps nécessaire pour qu’un autre, plus sensationnel, fasse oublier celui qui l’a précédé. Ce sont là des abcès qui dénoncent le mal interne que, seul, un peuple conscient et révolutionnaire peut extirper radicalement.