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mémoires d’un communard

sur les correcteurs, vint à moi et me dit de l’accompagner :

— J’ai, me dit-il, une partie de mon jardin à bêcher, et vous allez venir avec moi…

Sans grand enthousiasme, je suivis l’exécuteur des hautes-œuvres.

Tout en cheminant, le bourreau me demande si je sais bêcher ?

Je lui réponds que, sans être expert en jardinage, je sais, néanmoins, à peu près ordonner une « planche ». — S’il en est ainsi, me dit-il en riant, vous ferez facilement le travail que je vous destine.

Nous arrivâmes à sa maisonnette, située à droite du quartier cellulaire et construite depuis peu, car le nouveau bourreau s’était refusé à aller habiter le gourbi de son prédécesseur, sis non loin de la petite caserne de l’infanterie de marine, c’est-à-dire du côté opposé.

Un jardin-potager précédait la maisonnette ; Ledoux me pria de le suivre et, à sa suite, je pénétrai dans sa demeure.

A peine entrés, le bourreau m’invita à m’asseoir, puis, allant prendre un filtre, placé sur un réchaud, il revint et versa, dans deux « quarts » en fer battu, du café, le sucra avec de la cassonade et, ayant placé auprès du tabac et du papier, il m’invita à faire une cigarette.

Ces apprêts, cette façon d’agir m’intriguaient, en même temps que je sentais en moi augmenter ma gêne. Que me voulait le bourreau ? Telle était la question que je me posais.

— Buvons d’abord le café, me dit-il, et nous verrons ensuite à nous occuper du jardin.

Je trempai mes lèvres dans le noir breuvage, mais j’éprouvai comme une difficulté à absorber le peu de liquide qui se trouvait dans ma bouche. Le bourreau m’observait et semblait deviner ce qui se passait en moi. Un sourire étrange errait sur ses lèvres.

— Vous ne fumez donc pas ? Allons, roulez une cigarette…

— Depuis que je suis au bagne, lui dis-je, j’ai très peu fumé, et vous en connaissez les raisons.

— Vous faites bien, mais, pour aujourd’hui, fumez