marchant un assez grand nombre de gens se fait entendre ; les cellules s’ouvrent et se referment : je comprends que, simultanément, on enferme les hommes revenus de la visite et distribue les vivres.
La porte de ma cellule s’ouvre : c’est l’éternel Mayer, celte fois armé d’une louche ; derrière lui un « service intérieur » lient un bouyau, d’où s’échappe une fumée que je trouve odorante.
— Gommunard, tonne don cotillot…
— Mon godillot, pourquoi faire ? demandai-je, étonné.
— D’es pêde ! du fois pien : z’est la pouillon…
— Du bouillon dans mon soulier ? merci !
— D’as la queulle vine, gommunard ! Et il s’en fut.
Je compris alors pourquoi le forçat voisin, qui avait vendu ses souliers pour avoir du tabac, était ailé à la visite demander au major de lui faire délivrer un soulier[1].
Tout en regrettant d’être privé de soupe, j’attaquai la moitié de ma ration de pain et songeai, à part moi, aux étrangetés dont j’étais témoin : à ce bouillon versé dans un soulier, à ces condamnés allant réclamer d’un major la délivrance d’un soulier pour pouvoir recevoir ce bouillon et le peu de viande qui l’accompagnait.
Décidément, l’ile Nou dépassait Toulon ; la métropole était battue par sa colonie.
— Dis donc, l’aminche, reprit une des voix déjà entendues ; c’est Rascaillasse qui en faisait une « cafetière » (figure) quand je lui ai tendu le « bifton » du vétérinaire :
« — Un godillot pour la soupe, verminasse !… j’vas t’en f… un comme une passoire ; plus souvent qu’on va dépareiller des souliers pour que « monsieur » mange son potage…
« — Pardon, chef, que je lui dis, mais monsieur le major…
« — Le major, le major… je ne connais pas le major ; rascaillasse, verminasse ; je ne connais que des souliers… entends-tu, rascaillasse ?
- ↑ Ce major s’appelait Dubois. II fit un bon ainsi libellé : « Bon pour un soulier, afin que le condamné, actuellement en cellule, puisse manger de la soupe. »