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des barricades au bagne

Le restant de la journée s’écoula sans incident. Quand le soir fut venu, j’entendis à nouveau les plaintes déchirantes de mes faméliques voisins ; je grignotai silencieusement le restant du pain que j’avais mis en réserve et que toute la journée j’avais eu la tentation de dévorer. J’eus même l’énergie d’en distraire une trentaine de grammes destinés à calmer les crampes stomacales qui, la veille, au matin, m’avaient tant fait souffrir.

Les heureux qui n’ont jamais enduré la faim et, souvent, appelé en vain l’appétit, ne se peuvent faire une idée de celte lutte chez des hommes jeunes, mal nourris depuis longtemps et qui doivent tout un long jour rester étendus, sans la plus petite occupation ou distraction, près de ces quelques grammes de pain que l’estomac réclame, mais que la volonté tient à laisser en réserve pour que la résistance « à l’ennemi » se puisse mener avec moins de faiblesse physique.

La seconde nuit fut de beaucoup plus pénible que la première. Je grelottais et sentais la fièvre m’envahir. Diable 1 pensai-je, si la maladie se met de la partie, comment pourrai-je résister aux épreuves qui m’attendent ? Je me raidis contre le froid et me mis à frotter mon corps avec toute la force dont je disposais encore. Au bout d’un certain temps de ce manège, le froid et le malaise avaient sensiblement diminué. C’était là pour moi une expérience utile.

L’heure de la distribution des vivres approchait ; depuis quelques instants, les cris habituels, partant des cellules voisines, en se faisant plus plaintifs, me le donnaient à entendre.

Tout à coup, rompant le silence du camp et arrêtant net les plaintes des prisonniers, le tambour rappelant les condamnés se fait entendre et, sonnerie sinistre, le clairon de l’infanterie de marine nous annonce qu’il va y avoir bastonnade !

Un frisson secoue les prisonniers ; nous entendons les surveillants et les correcteurs s’approcher en hâte des cellules ; on va appeler les patients et, l’angoisse au cœur, chacun redoute d’entendre prononcer son nom…

Oh, l’horrible minute !

Trois malheureux sont appelés ; parmi eux se trouve le condamné dont la cellule fait face à la mienne et qui,