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mémoires d’un communard

parle) ? dit une voix avinée. Je vas lui casser la gueule avec mon revolver !…

Un silence de mort régna dans les cellules, et le bruit d’un pas pesant m’indiqua que l’interrupteur s’éloignait.

Une heure s’écoula ; puis, d’une cellule voisine s’exhala cette plainte :

— Oh ! que j’ai faim !…

Ce cri réveilla ma fringale et j’éprouvais dans l’estomac des morsures que je connaissais pour les avoir déjà ressenties ; puis, comme si cette douloureuse exclamation eût été un signal, de toutes les cellules s’élevèrent les mêmes gémissements. À un moment la colère s’en mêla :

— Nom de Dieu ! hurla un prisonnier, si le « bricheton » (pain) tarde à « rappliquer », je me « bouffe un abatis ! » (je me dévore un bras).

— « Acrai ! » (prenez garde) voilà la « tortore » (nourriture), glapit une voix.

Tous les prisonniers, faisant taire la faim qui grondait en eux, se turent et attendirent.

Un bruit de pas se fît bientôt entendre dans le couloir : c’était, je le compris par l’ouverture et la fermeture des portes des cellules, la distribution des vivres qui s’effectuait. Ma cellule s’ouvrit la dernière et je vis apparaître le peu sympathique Mayer. Ce bas coquin me jeta un morceau de pain en disant ;

— Diens, foilà de goua vaire la noce !

Mayer et le chiourme qui l’accompagnait s’en furent en riant de ce bon mot, fort contents d’eux-mêmes. Il y avait de quoi.

Je regardai ma ration de pain ; elle devait peser environ trois cents grammes. Malgré mon long jeûne, je résolus de ne manger que la moitié de cette ration, afin de ne pas être dans l’obligation de passer vingt-quatre heures sans aucune nourriture. Je divisai donc mon pain en deux parties à peu près égales et, avec toute la lenteur dont je fus capable, je me mis à manger l’une des deux moitiés.

Tenant à ce que mon repas durât le plus longtemps possible, et, d’autre part, mon estomac ayant de fortes tendances à se montrer exigeant, il y eut combat entre lui et ma volonté ; cependant la victoire demeura à cette dernière.