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des barricades au bagne

tait ses inférieurs les lui avaient aliénés, et ils n’attendaient que l’occasion de lui être désagréables, de le compromettre. En attendant, ils marchaient droit et s’inclinaient devant sa pesante autorité.

Cependant, si l’envie n’exclut pas la basse soumission, cette dernière s’accorde à merveille avec l’hypocrisie ; aussi, ces gens, qui délestaient leur chef, ne savaient qu’inventer pour « avoir l’honneur de le posséder à leur table ».

Il y avait donc très souvent réception chez MM. les chiourmes de Montravel ; ces soirs-là, l’absinthe, le vin et le tafia étaient libéralement mis à la disposition des gosiers assoiffés, d’autant qu’en dehors de la solde les surveillants militaires se procurent des ressources non prévues par les règlements.

C’est à la suite d’une de ces bombances qu’un drame se déroula au camp de Montravel.

Une nuit où, grâce à un clair de lune admirable, on y voyait comme en plein jour, le chef Argentier quittait la table des surveillants, la tête fortement échauffée par de copieuses libations, et rentrait en son logis. Tout à coup, il vit un individu qui sortait du camp ; son allure paisible, sa marche lente eussent immanquablement indiqué au chef, n’eussent été les troublantes fumées de l’alcool, qu’il ne se trouvait pas en face d’un condamné tentant de s’évader, mais d un passant quelconque ; du reste, la lune éclairait à ce moment si bien le camp qu’on ne pouvait s’y méprendre.

Mais, excité outre mesure, Argentier ne pouvait laisser passer une aussi belle occasion d’exterminer quelqu’un, et, sautant sur son fusil, il se mit à hurler :

— Halte ! ou je fais feu.

Or, l’individu auquel s’adressait cet ordre ignorait notre langue : c’était un jeune canaque de Saint-Louis, concession des Pères maristes, et chacun sait que les Pères se gardent bien d’apprendre le français aux indigènes placés sous leur direction. Le malheureux jeune homme poursuivit donc tranquillement son chemin.

Un coup de feu, tiré à bout portant, l’étendit sur le sol.

Au bruit, tout le camp fut debout. Sur la route, qu’argentait l’astre nocturne, nous vîmes un corps ina-