Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/285

Cette page n’a pas encore été corrigée
266
mémoires d’un communard

trées par le forçat. Qu’il me soit permis d’ajouter que je m’excuse des oublis que j’ai pu commettre, car, ainsi que je l’ai écrit au commencement de ce récit, ce n’est que par un effort énorme de mémoire que, très péniblement, je parviens à l’aire revivre cette émouvante époque de ma vie.

Mon ex-bagne de Montravel est aujourd’hui entouré de murs ; en 1874, il comptait six longues cases en torchis recouvertes d’un chaume spécial. Elles étaient construites au flanc d’un de ces mamelons qui, très nombreux en Calédonie, sont comme la constatation des cataclysmes qui, dans les temps préhistoriques, séparèrent les Nouvelles-Hébrides, les Fidji, la Nouvelle-Calédonie et cent autres îles, émergeant encore au-dessus de la mer, du grand continent australien.

Sur un second mamelon, attenant au premier, se trouvaient deux bâtiments ; la caserne des surveillants militaires et un kiosque où ces derniers prenaient leurs repas. Plus bas, presque à l’entrée de cette espèce de cirque, le logement du surveillant-chef.

Tout au fond, à l’extrémité des cases, la cuisine, et à quelques mètres, deux énormes gourbis servant de prisons. Les lits de camp de ces derniers étaient formés à l’aide de fortes branches espacées et équarries qui meurtrissaient les membres des condamnés que la barre de justice forçait à l’immobilité.

Sur la gauche se voyaient des marais, coupés en partie par la route menant au Pont-des-Français, point terminus do la presqu’île de Nouméa, et situé à vingt-cinq kilomètres de cette ville. Là commence la grand’terre.

Le bagne de Montravel était placé sous la direction d’un sieur Argentier. Ni bon ni trop mauvais, il eût pu, dans la vie civile, devenir un homme comme des milliers d’autres que, chaque jour, l’on coudoie ; mais Argentier était surveillant-militaire ; il avait, sur les manches de sa tunique, les doubles galons de chef, et tout un camp de condamnés sous ses ordres, ce qui suffisait, et au delà, pour que des bouffées d’orgueil montassent à son cerveau et lui tissent perdre un tantinet la raison.

Ses airs de supériorité, la rudesse avec laquelle il trai-