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mémoires d’un communard

des responsabilités nous incombant, pouvait aller et venir à sa guise…

Eh bien, on peut m’en croire sur parole, malgré qu’en ma qualité de socialiste révolutionnaire je n’eusse guère à me louer des faits et gestes de Francis Jourde, en tant que membre de la Commune, aucun sentiment d’envie, de jalousie, ne s’éleva en moi. Je constatais simplement la bizarrerie de notre situation respective.

Cependant, étant donnés le voisinage si proche, et aussi le souci non lassable de M… d’essayer de m’être utile, Jourde sut qu’il n’avait qu’à lever les yeux pour me voir de chez lui et, s’il le croyait nécessaire, il pourrait m’écrire ou venir échanger avec moi quelques paroles. C’est, du reste, ce qui advint par la suite.

Parfois, à l’aide d’un signal convenu, il me faisait comprendre qu’il avait quelque chose d’important à me communiquer. En ces rares occasions, et après avoir pris toutes les précautions qu’exigeait la situation, nous échangions quelques mots rapides, lui caché dans la brousse qui s’élevait au-dessus de l’imprimerie, et moi, l’œil et l’oreille au guet, faisant le simulacre de me laver les mains auprès des réservoirs attenant à l’établissement gouvernemental.

Ces entrevues, on l’a deviné, n’avaient d’autre objet que notre commune évasion : dix projets avaient été étudiés, discutés et rejetés. Jourde entendait que je partisse le premier, parce que, disait-il, j’étais le plus terriblement frappé. Je lui objectai que mon départ pourrait peut-être lui attirer des ennuis et qu’il valait mieux, parce que, tout d’abord, cela lui était beaucoup plus facile qu’à moi, qu’il prît les devants.

Et les choses en demeuraient là, à mon grand désespoir.

Quelquefois, le dimanche, occupé à laver mes hardes de forçat, le bruit d’une cavalcade attirait mon attention et j’apercevais, chevauchant en joyeuse compagnie, Jourde, Ballière et quelques autres cavaliers poussant un temps de galop jusqu’au Pont-des-Français.

— Comment, me disais-je, des hommes jouissant d’une telle liberté ne trouvent-ils pas le moyen de reconquérir leur pleine indépendance, d’autant que le moindre incident, le simple caprice d’un fonction-