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mémoires d’un communard

ractère plutôt enjoué, il eût pu se garder de toute histoire fâcheuse avec le sieur Lequeux, si ce dernier n’eût considéré comme irrévérencieuse l’allure indépendante de ce forçat, qui se permettait de répondre à ses observations pseudo-directoriales. Et puis, B… l’avait connu quand, en son costume de « marsouin ». il venait besogner en compagnie des condamnés, et cela défrisait le « civil important » qu’il était devenu.

A la reliure, en outre du civil dont nous avons parlé plus haut, se trouvait le contremaître.

Lequeux et lui se partageaient l’autorité sur le personnel. Leur caractère et, pourrais-je dire, leur individualité, semblaient faits pour s’entendre, se compléter. Ex-soldat et forçat avaient le fond également méchant et exécraient les vaincus de l’insurrection parisienne.

Le fâcheux, c’est que le citoyen Bertin et moi étions peu disposés à les subir : quoi qu’il nous en dût coûter, une fois entrés dans l’imprimerie, nous nous considérions comme des travailleurs et, en cette qualité, nous imposions la politesse à qui nous adressait la parole ou nous donnait des ordres concernant la besogne.

Deux manœuvres, appelés à tourner la roue de la machine à imprimer, complétaient l’équipe. L’un était un ex-prêtre, condamné à perpétuité pour avoir égorgé sa maîtresse. Sa force était extraordinaire, et sa sournoise brutalité en faisait un être absolument antipathique.

Son collègue, ex-soldat de la légion étrangère, avait été condamné à mort, également pour meurtre ; mais, à la suite d’une tentative de suicide qui avait failli lui coûter la vie, on l’avait commué aux travaux forcés à perpétuité.

Aussi solide, parce que plus nerveux, que l’ancien prêtre, on l’avait vu, à diverses reprises, se mesurer avec lui et le dompter. De là leur entente apparente et leurs communes beuveries de tafia, le jour où, leurs « travaux de gravure » vendus, ils se partageaient le litre d’alcool apporté en cachette.

L’ex-prêtre et l’ancien soldat formaient comme un groupe à part.

Ce personnel ; jusqu’à mon départ, ne fut augmenté que d’une unité : celle du citoyen Annoy, ex-officier d’ordonnance du général Eudes. Ouvrier typographe,