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mémoires d’un communard

Chacun des arrivants se demande, non sans appréhension, dans quelle catégorie on va le classer. Pour moi, les hésitations ne sauraient exister : c’est la quatrième catégorie qui m’attend ; puissé-je seulement éviter les chaînes !

Un mouvement se produit dans le Pénitencier. Nous voyons des surveillants passer très affairés. Tout à coup apparaît un groupe assez nombreux, où nous distinguons le commandant de l’Ile Nou et un autre personnage dont le chef est couvert d’un chapeau haut de forme. Autour de ce dernier chacun s’incline avec obséquiosité : cela nous indique sa grande importance. Cet homme, assez grand, marche légèrement voûté.

Des contremaîtres, se promenant devant notre case, l’aperçoivent et s’écrient :

— Gare, voilà le Bossu !…

La grille de notre case s’ouvre brusquement et un surveillant militaire fait irruption au milieu de nous en nous lançant ce commandement :

— A vos places ; fixe !

À ce moment le groupe en question est parvenu devant la case ; le même surveillant nous crie :

— Condamnés, découvrez-vous !

Celui qu’on a appelé le Bossu, suivi du commandant, d’un forçat lui servant de secrétaire et de quelques surveillants, pénètre dans la case. Me trouvant à l’entrée, il vient droit à moi :

— Comment vous appelez-vous ?

— Jean Allemane.

— Ah ! Jean Allemane… vous avez de la chance… Vous en avez commis des crimes sous la Commune !… Comment ne vous a-t-on pas fusillé !… Oui ; pourquoi ne vous a-t-on pas fusillé ?

— On a sans doute pensé qu’il valait mieux m’envoyer ici…

— Taisez-vous !… Il paraît que vous êtes typographe ?

— Oui, Monsieur.

— Eh bien, vous avez de la chance, car l’Administration pénitentiaire pourrait, devrait se montrer sévère vis-à-vis d’un gaillard tel que vous… On va vous envoyer à Montravel ; mais, prenez garde !…