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mémoires d’un communard

Sous la conduite des mêmes surveillants nous regagnons tant bien que mal notre camp improvisé. Le soir, trois des nôtres, que le désespoir avait affolés, tentèrent de se suicider en se jetant à la mer. Un seul s’y noya. On mit les deux autres en cellule, afin de leur apprendre à vivre.

Le lendemain, contrairement à la coutume, qui voulait qu’on accordât quatre ou cinq jours de repos aux nouveaux débarqués, on nous envoya au travail. C’était l’intervention équitable du capitaine d’armes du Rhin qui se soldait par l’application d’un traitement exceptionnel à l’égard de ses « protégés ».

La besogne qui nous est impartie consiste à défricher un petit mamelon sur lequel, une fois notre travail accompli, on laissera repousser librement la broussaille qu’avec une peine infinie, et sous le commandement des êtres les plus stupides et les plus grossiers que l’armée possède, nous allons détruire. Lorsqu’un nouveau convoi arrivera, on recommencera la même opération.

C’est ainsi que se gaspillent les millions envoyés par la métropole et que la France gouvernementale poursuit son œuvre colonisatrice.

On m’a fait prendre une pioche, qu’en ma qualité de typographe je manie assez mal. Cela me rappelle les ateliers nationaux, cette grande pensée de la bourgeoisie dirigeante de 1848.

Désireux d’éviter les observations, je m’escrime de mon mieux contre le sol rocailleux, dur comme du fer, pendant qu’un soleil torride darde sur moi ses brûlants rayons.

Survient un surveillant de première classe, que le bruit de mes coups de pioche a, sans doute, attiré :

— Espèce de c…, qu’est-ce que tu f…-là ? (sic) me demande ce porteur de galons.

Sans mot dire, je continue à maltraiter le sol de plus belle.

— M’entends-tu, sale brute ! qu’est-ce que tu f…-là ?

    verons, au cours de ce récit, comme chef de détachement au camp de la Pointe-Sud, une dépendance du Pénitencier-Dépôt.