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des barricades au bagne

Au bout de quelques instants, la ligne des surveillants militaires s’ouvre et livre passage à un forçat portant un banc : nous comprenons alors qu’il s’agit d’une bastonnade. Le banc est placé au centre et parallèlement à notre alignement. Quelques secondes s’écoulent ; puis, dévalant du côté des prisons, nous voyons s’avancer une troupe de condamnés, dont quelques-uns sont attachés aux poignets, pendant que les autres sont maîtres de leurs mouvements. Les premiers sont les patients, les autres les correcteurs.

Toujours et partout le spectacle de l’immonde lâcheté humaine : des misérables consentent à frapper, à terroriser, à torturer et à assassiner des misérables comme eux. Ainsi se comportent les fils d’ouvriers ou de paysans devenus soldats, policiers ou gardiens de prisons ; de même les indigènes, armés par le conquérant et toujours prêts à massacrer, à incendier et à violer, pour la plus grande gloire de celui qui leur ravit l’indépendance et en fit les dociles instruments de sa domination. Toujours et partout des loups dévorants et des moutons bêlants.

Mais le rectangle s’ouvre à nouveau pour livrer passage à un second groupe de condamnés et nous pouvons alors compter les patients. Ils sont au nombre de sept, tous pâles comme des spectres. Les forçats-correcteurs les entourent, pendant que les surveillants font de l’esprit : c’est, décidément, une maladie chez les militaires professionnels.

— Le concert va commencer ! dit l’un.

— En effet, ajoute un second, voici les musiciens !

Nous sommes aussi pâles que les patients. Un des correcteurs, le nègre dont j’ai déjà parlé, détache de sa ceinture un martinet qui y pendait, l’examine avec attention et attend qu’on lui donne l’ordre de frapper. L’aspect de cet individu est repoussant.

À ce moment nous voyons un surveillant à deux galons s’approcher du banc de torture :

— Etes-vous prêt ? demande-t-il au correcteur.

— Oui, chef !

— Eh bien, qu’on commence ! Et il appelle l’un des patients.

Les correcteurs le saisissent, l’allongent sur le banc,