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mémoires d’un communard

— Nom de Dieu ! 277, qu’est-ce que vous avez à regarder comme un idiot, au lieu de descendre ?…

Sans répondre, je suis le mouvement qui vient de se dessiner et saute dans une chaloupe que montent des forçats. Cette équipe de condamnés me fait songer aux anciennes galères où, enchaînés à leur banc, les galériens devaient ramer et se plier à toutes les fantaisies des patrons ou chefs de galères.

En attendant que l’ordre du départ soit donné, je continue d’inspecter la rade. Presque devant moi se voit une île toute mignonnette. Je demande à un rameur le nom de ladite île ; il me répond, assez obligeamment, que c’est l’île aux Lapins. Ce nom me fait sourire, mais ce sourire s’évanouit dès que le condamné, m’indiquant une île voisine de cette dernière, me dit :

— Et celle que vous voyez là, c’est celle où nous allons aller dans quelques instants : c’est l’île Nou !

L’île Nou, le bagne, le lieu affreux où se doit écouler toute mon existence !

Ainsi que les passagers civils ou militaires, les surveillants appartenant à notre convoi avaient été débarqués depuis la veille.

Aussitôt descendus à terre, ces messieurs s’étaient empressés d’exciter contre nous leurs collègues en leur narrant, à leur façon, les divers incidents du voyage et en leur dénonçant la protection incompréhensible dont le capitaine d’armes avait couvert les « bandits de la Commune » ; les injonctions, les menaces, les punitions, qui n’avaient cessé de pleuvoir sur les surveillants.

Pour ces messieurs, le Rhin s’était transformé en bagne.

Inutile d’ajouter que le sieur Fournier n’avait pas été le dernier à remplir sa tâche dans le concert de malédictions contre le capitaine d’armes se faisant un malin plaisir, affirmait-il, de les bafouer devant les condamnés, surtout ceux de la Commune. Et, avant que nous eussions touché terre, les gestes menaçants des surveillants, nous attendant au débarcadère de l’île, nous faisaient prévoir la réception qui nous était préparée.

. . . . .

— Sur deux rangs, las de salauds ! vocifère un surveillant à double galon d’argent.