Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
232
mémoires d’un communard

J’eus l’inappréciable chance de faire partie de celle dernière catégorie et de pouvoir me rendre utile.

L’arrivée du Rhin à Sainte-Catherine, où les orangers foisonnent, activa la guérison de nos scorbutiques, car on y fit une consommation énorme d’oranges, aussi excellentes que peu chères. Les mesures d’hygiène aidant, on finit par vaincre cet affreux mal, à la satisfaction générale : les passagers et l’équipage craignant que la contagion ne les gagnât.

Ce fut très probablement à cette crainte bienfaisante que nous dûmes les sages mesures qui, après avoir enrayé le mal, parvinrent à le faire à peu près disparaître. J’ajouterai qu’en cette circonstance, comme en beaucoup d’autres, l’intervention du capitaine d’armes fut des plus efficaces.

Sainte-Catherine devait être notre dernière escale avant la terre maudite, le bagne calédonien : les sympathies dont les habitants de Melbourne avaient fait preuve à l’égard des communards qui nous avaient précédés, avaient engagé nos généreux officiers de marine — si chaudement républicains — à éviter tout contact avec les ports australiens, et le Rhin, en quittant les parages du Brésil, se dirigea vers le détroit de Van Diémen, en évitant Melbourne.

Peu de jours après, nous voguions sur le Pacifique, l’océan aux vagues géantes, aux squales énormes.

Si, vers le cap de Bonne-Espérance, il nous avait été donné, en nos trop rares et courtes promenades, de voir amener sur le pont du navire quelques poissons de grande taille, le Pacifique nous réservait un spectacle autrement émotionnant.

Au large des côtes australiennes, une des lignes les plus solides placées à l’arrière fut violemment agitée et bientôt, le cabestan aidant, les marins ramenèrent à la surface un véritable monstre, un requin formidable.

A la vue d’une telle prise, on jugea qu’il fallait recourir à des mesures exceptionnelles. On suspendit à moitié le squale et, lorsqu’il fut à point, on le hissa sur le pont, après qu’on lui eût préalablement asséné de terribles coups, mais l’épouvantable bête était loin d’être morte.

Suspendu au grand mat, le requin se défendait fu-