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des barricades au bagne

tune et du Père Tropique, présidant au baptême des navigateurs parvenus en cette partie de leur royaume aquatique. Cette cérémonie n’est pas sans enfanter des scènes désopilantes, voire même parfois fort désagréables pour celui ou ceux qui ont la malchance d’être en butte à la malignité de leurs co-passagers ou des hommes de l’équipage. Profilant de la licence, des petites vengeances se donnent facilement carrière.

À notre bord, la victime choisie fut le malheureux Boysset. En sa qualité de représentant unique de l’illustre corps de la gendarmerie, pour lequel ! a flotte nourrit une si vive sympathie, il dut subir les aménités des tribordais comme des bâbordais, tous également désireux de témoigner leurs fraternels sentiments à cet unique représentant des « brasses carrées ».

La farine, la suie, l’eau de mer, que sais-je encore, lui furent libéralement octroyées, et le pauvre Boysset dut employer plusieurs journées pour remettre à peu près en état ses divers costumes de magistrat méconnu et bafoué.

Etant donné que rien ne nous amuse autant que les avanies que les autres subissent, il s’ensuivit que les tribulations qui, en ce jour mémorable, assaillirent notre gendarme, nous firent passer d’agréables instants et qu’il ne s’en trouva pas un seul parmi nous pour blâmer les gendarmes improvisés qui, sous le double commandement de Neptune et du Père Tropique, malmenèrent le malheureux Boysset.

Dans la mesure où cela fut toléré, les condamnés, en leur cage respective, prirent leur part de gaieté en cette carnavalesque cérémonie ; mais ce court moment de distraction faillit être chèrement payé dès le lendemain même du passage sous la ligne.

La mer était unie comme une glace, pas un souffle ne venait rider sa surface, et le Rhin, ses voiles serrées, voguait sous l’unique poussée de la vapeur. Dans les batteries, on haletait dans la lourdeur d’une chaleur plus qu’étouffante, et à ce malaise s’en adjoignait un autre, du moins en notre cage : une soif ardente.

Grâce à un fils de notre très catholique Armorique, chargé d’alimenter de liquide le foudre qui nous était imparti, un drame terrible faillit se produire. Cet incident mérite d’être conté par le menu.