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mémoires d’un communard

On les arrêta à l’entrée de Nouméa. Quelques jours après, un arrêté de M. de La Richerie, inséré dans l’organe officiel, brisait la noble carrière de ce désopilant gendarme, dont les joyeuses saillies rempliraient un volume, s’il les fallait narrer toutes.

Le Rhin venait de franchir le golfe du Lion et se dirigeait vers le détroit de Gibraltar, pour gagner Dakar. Ma cage, la première de tribord, est à la promenade sur le pont : une barque, que montent quatre hommes, se dirige vers le navire. En voyant les couleurs arborées, les hommes de la barque nous crient : « Viva, viva el Republica ! » Puis, l’un d’eux, debout et faisant le geste de tirer : « Amedeo, fusillato ! »

Inutile de dire que le roi Amédée avait tout simplement démissionné, mais le geste du pêcheur n’en avait pas moins irrité nos porte-galons.

— Au large ! dit, d’une voix rude, l’officier de quart.

Ces braves gens durent comprendre que ce navire de la République française n’était pas commandé par des officiers républicains.

La mer est grosse et la tempête s’annonce comme très proche ; le commandant ordonne qu’on relâche dans la baie d’Alméira. A travers un hublot, je peux apercevoir la côte et les coquettes maisons qui l’égaient. Je calcule qu’une heure de natation m’en sépare et, si l’occasion propice s’offrait, je tenterais l’aventure. Trois risques à courir : une balle au départ, se noyer en route et être repris. La conquête de la liberté vaut qu’on les affronte.

Il se fait à bord un grand remue-ménage ; des forçats sont commandés pour diverses corvées et je suis désigné pour me rendre à la soute au charbon. Je sors de la cage et me voici près d’un large sabord ouvert ; les surveillants commandent de faire halle.

Les vagues caressent les flancs du navire et semblent m’inviter à réclamer leur bienveillant concours. Au zénith, mille étoiles scintillent ; lentement, je me glisse au dernier rang de la corvée. Me voici en arrière, une demi-obscurité protège ma tentative ; je vais me baisser pour pouvoir glisser sans bruit le long de la large plaque de fer formant panneau, quand, brusquement,