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des barricades au bagne

saurez de quoi il en retournera, messieurs les forçats de la Commune ! »

Tout en nous amusant très fort de ses gestes, il convient de ne le laisser paraître, car les choses se pourraient aggraver ; aussi nous efforçons-nous d’empêcher les rires de fuser devant d’aussi intempestifs mouvements, et paraissons-nous n’y prêter aucune attention. Mais voici le moment solennel. Les clairons sonnent au champ ; l’aumônier s’apprête à accomplir l’habituel miracle. Boysset se met à hurler :

— Au nom de l’Assemblée nationale, à genoux !

Nous demeurons impassibles.

— A genoux ! au nom de la Constitution !

Nous ne bronchons pas.

— A genoux ! nom de Dieu ! à genoux !…

À cette minute, nous voyons le capitaine d’armes se précipiter par l’écoutille : les cris de Boysset l’ont attiré de notre côté. Il apostrophe le gendarme en un langage très pimenté et, se refusant à entendre les explications de ce dernier, dont l’indignation ne se peut calmer, il l’envoie gesticuler et tempêter ailleurs.

Ce fut pour le malheureux Boysset le définitif effondrement.

Depuis ce jour, qui marqua l’atteinte la plus grave à sa dignité, il se jura de ne plus s’intéressera la « bonne tenue » des condamnés et laissa les choses aller leur trantran. Plus rien ne semblait l’intéresser, même les lazzis de l’équipage ne parvenaient à l’émouvoir. Une seule colère — cette fois combien légitime ! — put troubler sa philosophique indifférence. Cela se passa sous la ligne. Sans respect pour sa magistrature, messieurs les matelots s’étaient emparés de sa plus belle tenue et l’avaient abominablement salie en compagnie de Neptune, le dieu des eaux et aussi des mauvaises plaisanteries, car, saisi par l’équipage, le pauvre Boysset avait dû subir mille avanies, au point qu’il en devint malade de rage impuissante.

Quelques mois après mon arrivée en Nouvelle-Calédonie, je revis Boysset ; trois de ses collègues l’accompagnaient. Mécontents de leur chef, ils allaient, titubant, tenant toute la largeur de la route qui va de Nouméa au Pont-des-Français, se plaindre au… gouverneur !