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mémoires d’un communard

cette lettre, il y avait des cheveux de la mère de la mignonne créature ; d’autres encore, mais ceux-là, tout blancs : ceux de ma désolée et adorée mère ; des noirs comme jais : ceux de mon fils Charles, âgé alors de trois ans.

Et l’énorme brute s’esclaffa :

— Ah ! ah ! vous emportez des crins en Nouvelle-Calédonie !…

Faut-il que, par instants, l’être humain tienne à la vie ! Il est vrai que je ne pouvais autre chose, contre ce vil personnage, que lui cracher à la face ou le souffleter.

Des larmes de rage s’échappèrent de mes yeux, pendant que, riant encore, Latreille s’en fut vers ni autre de nos camarades s’essayer à faire de l’esprit à sa façon, c’est-à-dire s’efforcer de froisser les sentiments les plus nobles et les plus chers qui soient au cœur de l’homme.

Ce triste individu fut le dernier « capitaine » ou chef des adjudants du bagne de Toulon ; bien renté, il a dû, après une existence aussi honorablement remplie, s’éteindre doucement, comme des milliers d’autres de son espèce se sont éteints et s’éteindront. Notre République, suivant religieusement les saines traditions des régimes passés, continue à leur être secourable, a leur verser de larges prébendes.

Présentement, elle doit probablement servir au bandit Charpyat, l’inquisiteur de l’Ile Nou, le féroce gredin qui à l’aide de poucettes broyant les doigts des mains et des pieds, appliquait la « question » plus d’un siècle après l’abolition de la torture, une pension de plusieurs milliers de francs.

Aussi, quand tant de bas coquins pillent le Trésor public, comment pourrait-on songer à assurer le « pain quotidien » et le gîte aux braves gens dont les forces se sont dépensées au travail ?

Voilà, enfin, terminé le supplice moral imposé par Latreille aux communards en partance ; l’adjudant de service et les gardes nous emmènent au quai, ou d’autres forçats viennent nous rejoindre. Des chalands sont là, et le Robuste, sous pression, va les remorquer jusqu’au transport qui, pendant de longs mois, nous