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des barricades au bagne

et, trois ou quatre jours après, le camphre… était dévoré par ceux-là mêmes qu’il devait radicalement détruire !

Carlier en était tout penaud, et la mémoire de notre glorieux Raspail passa un mauvais quart d’heure.

Il nous fut rapporté que Latreille, ayant appris l’échec piteux du camphre sur ses protégés, se serait joyeusement écrié :

— On voit bien que les Communards n’ont aucune idée de l’endurance de nos poux !

Voici venue, croyons-nous, l’heure de la séparation avec les camarades demeurant au bagne de Toulon, parmi lesquels se trouve mon ami Brissac, qui nourrit encore l’espoir décevant d’une commutation de peine. Nous nous serrons la main avec effusion et quittons la Casemate, dès que nous avons endossé la nouvelle livrée et subi l’immatriculation du bord.

Nous voilà dehors ; mais, au lieu de partir vers le quai d’embarquement, nous devons nous placer sur deux rangs et attendre. Nous voyons au bout d’un instant apparaître Latreille.

— Que nous veut-il encore ? se demande-t-on.

— Mettez tous vos paquets à terre ; défaites-les et retournez vos poches !

Tel fut l’ordre donné, et que nous dûmes exécuter. Latreille, dix fois plus féroce que le plus cruel des bandits enfermés au bagne, éprouvait ce regret de nous voir passer en d’autres mains que les siennes ; malgré qu’il n’ignorât pas les nouvelles souffrances qui nous étaient réservées dans les bagnes calédoniens, et que des monstres de son acabit sauraient, aussi bien que lui, torturer nos cœurs et nos corps, il n’en était pas moins contrarié de notre départ.

Mes yeux durent, sans doute, lui révéler tout le mépris qu’il m’inspirait, car l’infect chenapan se dirigea de mon côté et, après qu’il eut examiné mon maigre bagage, me demanda :

— Que tenez-vous dans votre main gauche ?

— Des souvenirs… Voyez.

Et je dus montrer à ce misérable la dernière lettre reçue, la lettre m’apprenant la naissance de ma fille, de ma Jeanne, que j’étais condamné à ne voir jamais ! Avec