Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
mémoires d’un communard

marchander, avait cent fois risqué sa situation, la modeste retraite à laquelle son âge et ses services allaient lui donner droit. Combien de républicains, surtout à l’époque où ces incidents se déroulaient, se taisaient et tremblaient.

Faute de mieux, mes yeux lui exprimèrent ma reconnaissance peur le concours si vaillant et si désintéressé qu’il m’avait prêté.

Sortis de la forge, les gardes nous firent nous laver à grande eau. Il y avait sept longs mois que ce luxe m’avait été interdit.

Du savon et de l’eau tiède ! Ce fut pour nous presque une fête, et, comme un plaisir est généralement suivi d’un second, l’adjudant qui dirigeait l’opération vint nous apprendre que le lendemain matin, quelques instants avant l’embarquement, il y aurait une distribution de poudre… insecticide.

Nous allions donc pouvoir exterminer une partie de nos ennemis, et non des moins tenaces contre notre repos. Depuis longtemps les hostilités se poursuivaient entre eux et nous, mais plus nous en exterminions, plus nombreux ils semblaient devenir. C’était à désespérer de la victoire définitive.

Un des nôtres, le citoyen Carlier, auquel une longue expérience en ces sortes de combats donnait quelque autorité, prétendit qu’il suffirait d’un simple sachet rempli de camphre et suspendu au cou pour les faire tous passer de vie à trépas.

Le moyen était trop facile pour qu’il ne fût pas adopté d’acclamation, d’autant que toutes les demandes d’achats ; de poudre insecticide avaient été, de par le règlement, constamment rejetées[1]. Chacun de nous, en se conformant à la voie hiérarchique, demanda à pouvoir acheter du camphre pour se débarrasser de la vermine qui le dévorait.

Après huit jours de délibération, l’Administration du bagne de la République française nous octroya l’autorisation sollicitée. Le lendemain, chaque habitant de la Casemate possédait son « mahomet » rempli de camphre

  1. Les morsures de la vermine entraient dans le système répressif adopté pour le bagne et, pour ce fait, les couvertures, n’étaient jamais lavées.