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mémoires d’un communard

qui se refusaient à venir entendre la bonne parole, la douce et évangélique morale de M. l’aumônier.

Or, une après-midi, à notre grande stupéfaction, les doubles grilles de la Casemate s’ouvrirent pour livrer passage au pasteur de ce peu docile troupeau qu’étaient les hommes de cette prison maudite.

Voici l’aumônier au milieu de nous et, prenant une attitude peu pacifique, il nous tance de belle façon :

— Il paraît, s’écrie-t-il, qu’il en est parmi vous qui ont perdu tout respect humain ; ils se moquent de tout et invectivent ceux qui, se souvenant des pieux enseignements de leur mère, se repentent de leurs mauvaises actions.

« J’avise les premiers, ceux qui sont fiers de leurs crimes, et qui ne sont pour moi que de vulgaires bêtes à digestion, que je les ferai broyer sous la corde… »

À ces mots, un des nôtres ne put retenir une exclamation, qui fut entendue par l’irascible aumônier qui, d’un bond, sauta sur le lit de camp et, le poing fermé, menaçant, le mit sous le nez d’un camarade demeuré muet, ahuri, et lui cria :

— Canaille ! si je n’étais pas prêtre, tu verrais !…

Puis, revenant vers la grille intérieure et s’adressant au sergent de garde, aussi surpris que nous par cette algarade d’un ministre du dieu de douceur et de pardon, il lui ordonna de prendre le numéro du condamné signalé par lui, et de ne pas omettre de faire remarquer à ses chefs que les forçats de la Commune s’étaient montrés irrespectueux à son égard.

Très ennuyé, le sergent dit qu’il aviserait de l’incident l’adjudant de service et se conformerait à ses ordres.

L’aumônier s’en fut, grondant aussi bien contre le sergent que contre les a bandits de la Commune », ces « bêtes à digestion », qu’il se proposait de faire « broyer » sous la corde.

L’adjudant de service — fort heureusement ce ne fut pas Monnin — vint faire son enquête. Très courageusement, le chef de poste lui narra les faits et imputa à l’aumônier tous les torts.

Cependant, malgré cette vaillante intervention du sergent, on nous mit au « rama » jusqu’à nouvel ordre et l’adjudant s’en fut faire son rapport au commissaire,