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mémoires d’un communard

A dater de ce moment, il nous fallut accomplir de véritables prouesses pour faire connaître au dehors ce qui se passait en notre bagne. Résolu à user de tous les moyens, je parvins à gagner le bourreau et, grâce à lui, quelques-unes de mes lettres purent être remises au forgeron : l’exécuteur des hautes-œuvres pouvant assez librement vaquer à travers les dépendances bagnardes.

Il convient d’ajouter, afin que l’étonnement de mes lecteurs ne soit pas trop grand, que le bourreau dont je les entretiens n’était pas un bandit vulgaire. S’il avait répandu le sang, c’était dans un duel et non dans un assassinat : le couteau à la main, il s’était mesuré, au sortir d’un lupanar niçois, avec le propre frère de Garibaldi, marin comme lui. Le malheur voulut qu’il y eut mort d’homme.

Condamné à mort, Guérino fut commué aux travaux forcés à perpétuité et envoyé au bagne de Gênes. Après la guerre d’Italie, il opta pour la France et vint échouer au bagne de Toulon. Le bourreau d’alors ayant été libéré, l’Administration le remplaça par Guérino, dont elle réduisit la peine à dix ans de travaux forcés.

Je dois à la vérité de dire que ce bourreau était cent fois plus humain que ceux qui le commandaient. Un jour qu’il « donnait » la corde à un condamné, le sieur Latreille se plaignit au commissaire des chiourmes de la mollesse de l’exécuteur, et demanda qu’on le changeât.

Le commissaire manda Guérino.

— M. Latreille, lui dit-il, vous accuse de ménager les condamnés punis de la corde ; de ne pas faire votre devoir (sic).

— Pardon, monsieur le commissaire, mais si je frappais comme le veut M. Latreille, je tuerais les condamnés auxquels vous ordonnez de donner la corde.

Latreille se récria, accusa Guérino de tiédeur, de mauvais vouloir.

— Monsieur le commissaire, reprit ce dernier, il y a à la cuisine du bagne une table en chêne ; si vous y consentez, nous allons nous y rendre et, si du premier coup de corde je ne fais pas éclater cette table, vous prendrez contre moi telle mesure qu’il vous plaira.

— J’y consens, dit le commissaire ; monsieur Latreille, veuillez nous accompagner.